Abdoul Aziz Sall : Un co-équipier, un homme d'état, un mauritanien - 1er janvier 1924 - 11 août 2011.
« Abdoul Aziz Sall est, avec Ahmed Ould Mohamed Salah, l’un des deux co-équipiers à être resté le plus longtemps à mes côtés : de 1961 à 1978. En exerçant successivement les fonctions de directeur de mon Cabinet, de Ministre de l’Intérieur, de Permanent du Parti et de Président de l’Assemblée Nationale.
Patriote convaincu, dévoué à la chose publique, dépourvu de tout esprit électoraliste et de tout préjugé ethnique, Abdoul Aziz Sall a consciencieusement consacré toute son énergie et sa grande expérience administrative à l’exercice de ces diverses hautes responsabilités.
Sûr de l’efficacité du système Parti-Etat, il en fut l’un des principaux animateurs et défenseurs. D’un tempérament vif, mais franc et loyal, Abdoul Aziz Sall aura été l’un des bâtisseurs actifs de la Patrie mauritanienne. »
Celui que pleurent tous ceux qui l’ont connu au pouvoir, avant ou depuis, l’environnant maintenant de leur prière et de leur reconnaissance, et celui qui lui a déjà rendu cet hommage national – Moktar Ould Daddah, le Président par excellence – me permettent, je le crois, d’ajouter quelques lignes.
Nul n’est fondateur seul, sinon Dieu. Moktar Ould Daddah eut la grâce providentielle de disposer de quelques co-équipiers remarquables, durables, loyaux. J’ai eu l’honneur de commencer de rencontrer Abdoul Aziz Sall dès mon service national français à Nouakchott, il y a quarante-six ans et la joie de m’entretenir longuement et souvent avec lui ces années-ci encore. Les deux versants d’une vie totalement dévouée à la Mauritanie et à son chef. Les qualités et traits de fond n’ont jamais changé.
Un homme chaleureux et de précision, disponible, un homme de parole, un homme d’archives aussi, ce qui est rare en Mauritanie…, un homme d’expression autant écrite qu’orale, capable de tenir même au secrétaire général du Parti, président de la République, plus aisément d’ailleurs en réunion nombreuse qu’en tête-à-tête où l’accord était paradoxalement plus aisé pour les deux personnalités éprises de clarté, de légalité.
Bien évidemment, corruption financière ou trahison n’ont jamais été son fait : même la rumeur n’aurait pu en circuler, en quoi Abdoul Aziz Sall est probablement le seul parmi les hauts responsables de la période fondatrice à se présenter pour la mémoire historique et devant Dieu, dans une telle pureté.
Originaire de M’Bout, formé sur le tas à chaque étape d’une carrière professionnelle puis politique de plus en plus haute, il commence à tenir les comptes, à Rosso, de l’entreprise de transports Lacombe (Janvier 1942 à Janvier 1945). Après trois ans comme commis au gouvernement du Territoire d’Outre-mer français, à Saint-Louis, il a des fonctions névralgiques à la trésorerie général de l’A.O.F. à Dakar (Mars 1948 à Novembre 1956), puis au Grand Conseil de l’ex-A.O.F. et à l’Assemblée fédérale du Mali (Sénégal et Soudan un moment unis).
Dans cette position, de Juillet 1958 à Mai 1960, c’est lui qui, efficacement et décisivement, travaille les élus et les ressortissants mauritaniens au Sénégal en sorte qu’ils ne succombent pas à la tentation fédéraliste ambiante : la section locale du Parti du regroupement mauritanien reste donc loyale aux options que Moktar Ould Daddah a grand peine à faire admettre à l’Assemblée nationale et dans certaines régions du pays.
Un temps, le voici diplomate, à la délégation mauritanienne auprès du Mali jusqu’à son éclatement, puis premier conseiller à Washington. Il lui en restera toujours quelque chose puisqu’il représente le pays ou accompagne le Président dans la plupart des réunions internationales des quinze années qui suivent.
Le jeune président de la jeune République a jusqu’alors fait diriger son cabinet par des Français, Jacques Villandre puis Maurice Larue, tous deux d’exception et recrutés pour n’avoir pas « commandé » dans le pays, au temps colonial. Abdoul Aziz Sall mauritanise avec succès cette fonction plus que délicate ; il l’occupe de Novembre 1961 à Juin 1968.
Discrétion absolue, autorité naturelle qui ne tient ni à une naissance particulière, ni uniquement à la confiance que lui manifeste le Président : l’homme est tout simplement fiable, cela se ressent en profondeur et aussitôt. Je l’ai vécu. Et il est sereinement patriote, Mauritanien totalement, ce qui est parfois une conviction exposée, ainsi lors des événements de Janvier-Février 1966 … Plus exécutant qu’imaginatif ? Sans doute, mais exécuter à un tel niveau et dans des affaires d’une telle diversité suppose bien plus une communion de pensée avec le fondateur qu’une soumission.
Dans les réunions en Comité permanent, puis dans celles du Bureau politique, encore en Juin 1978, c’est un homme qui prend la parole. Ministre de l’Intérieur de Juillet 1968 à Septembre 1971, puis chargé de la permanence du Parti d’Octobre 1971 à Août 1975, c’est lui qui doit en première ligne, ou plus efficacement en seconde ligne, perfectionner l’Etat après les événements de Juin 1968, appliquer la régionalisation et surtout tenir la balance égale dans l’intérieur du pays et sur la scène politique nationale entre les anciens et les modernes, les jeunes contestataires et les traditionnels. Il y parvient.
Devenu président de l’Assemblée nationale en Août 1975 après avoir présidé le groupe parlementaire du Parti cumulativement avec ses fonctions gouvernementales puis à la Permanence, c’est lui qui perçoit le plus nettement la mue dans l’organisation décisionnaire du pays : le pouvoir n’est plus en comité permanent du Bureau politique. Ce comité n’existe plus à compter du congrès d’Août 1975 et ne sera jamais reconstitué, lors même que sans doute la guerre subie au Sahara, le suggérait fortement. Il le regrette.
Malgré cette forte critique pour les dernières années du pouvoir qu’exerce Moktar Ould Daddah – lequel lui maintient cependant sa totale confiance – il demeure fidèle, n’accepte aucun poste d’aucun ordre, est d’une dignité parfaite quand est instruit le procès du fondateur. Au retour d’exil du Président, l’habitude est prise par son admirable épouse, Tokosselle Sy (elle aussi fondatrice, s’il en est, pour le Croissant rouge et pour l’émancipation des femmes mauritaniennes), de porter chaque semaine chez Mariem Daddah un plat traditionnel qu’elle a cuisiné elle-même.
Le Président assurait que son décisif collaborateur avait la « notite » et le considérait comme la mémoire de l’équipe entière. Ses dossiers – principalement classés à l’Assemblée – furent pillés lors du coup de 1978, jamais rendus ni reconstitués. Mais il demeure son passionnant « Journal d’un détenu politique » écrit au jour le jour en forme de « journal de bord » et relu « vingt cinq après ». Encore inédit. Je mets maintenant au net mes entretiens avec Abdoul Aziz Sall que publiera Le Calame, d’ici la fin de l’année.
Pour l’heure et pour longtemps, je pleure celui qui fut, probablement, à la suite de Moktar Ould Daddah mon plus grand et mon plus durable ami en Mauritanie, c’est-à-dire l’un de mes meilleurs et plus attirants amis. Tout court. Que Dieu le reçoive en son paradis, et nous le fasse ensuite rejoindre.
Bertrand Fessard de Foucault
*ancien professeur au Centre de formation administrative, devenu l’Ecole nationale d’administration de Nouakchott
– Février 1965 à Avril 1966
ancien ambassadeur
Source: http://adrar-info.net
« Abdoul Aziz Sall est, avec Ahmed Ould Mohamed Salah, l’un des deux co-équipiers à être resté le plus longtemps à mes côtés : de 1961 à 1978. En exerçant successivement les fonctions de directeur de mon Cabinet, de Ministre de l’Intérieur, de Permanent du Parti et de Président de l’Assemblée Nationale.
Patriote convaincu, dévoué à la chose publique, dépourvu de tout esprit électoraliste et de tout préjugé ethnique, Abdoul Aziz Sall a consciencieusement consacré toute son énergie et sa grande expérience administrative à l’exercice de ces diverses hautes responsabilités.
Sûr de l’efficacité du système Parti-Etat, il en fut l’un des principaux animateurs et défenseurs. D’un tempérament vif, mais franc et loyal, Abdoul Aziz Sall aura été l’un des bâtisseurs actifs de la Patrie mauritanienne. »
Celui que pleurent tous ceux qui l’ont connu au pouvoir, avant ou depuis, l’environnant maintenant de leur prière et de leur reconnaissance, et celui qui lui a déjà rendu cet hommage national – Moktar Ould Daddah, le Président par excellence – me permettent, je le crois, d’ajouter quelques lignes.
Nul n’est fondateur seul, sinon Dieu. Moktar Ould Daddah eut la grâce providentielle de disposer de quelques co-équipiers remarquables, durables, loyaux. J’ai eu l’honneur de commencer de rencontrer Abdoul Aziz Sall dès mon service national français à Nouakchott, il y a quarante-six ans et la joie de m’entretenir longuement et souvent avec lui ces années-ci encore. Les deux versants d’une vie totalement dévouée à la Mauritanie et à son chef. Les qualités et traits de fond n’ont jamais changé.
Un homme chaleureux et de précision, disponible, un homme de parole, un homme d’archives aussi, ce qui est rare en Mauritanie…, un homme d’expression autant écrite qu’orale, capable de tenir même au secrétaire général du Parti, président de la République, plus aisément d’ailleurs en réunion nombreuse qu’en tête-à-tête où l’accord était paradoxalement plus aisé pour les deux personnalités éprises de clarté, de légalité.
Bien évidemment, corruption financière ou trahison n’ont jamais été son fait : même la rumeur n’aurait pu en circuler, en quoi Abdoul Aziz Sall est probablement le seul parmi les hauts responsables de la période fondatrice à se présenter pour la mémoire historique et devant Dieu, dans une telle pureté.
Originaire de M’Bout, formé sur le tas à chaque étape d’une carrière professionnelle puis politique de plus en plus haute, il commence à tenir les comptes, à Rosso, de l’entreprise de transports Lacombe (Janvier 1942 à Janvier 1945). Après trois ans comme commis au gouvernement du Territoire d’Outre-mer français, à Saint-Louis, il a des fonctions névralgiques à la trésorerie général de l’A.O.F. à Dakar (Mars 1948 à Novembre 1956), puis au Grand Conseil de l’ex-A.O.F. et à l’Assemblée fédérale du Mali (Sénégal et Soudan un moment unis).
Dans cette position, de Juillet 1958 à Mai 1960, c’est lui qui, efficacement et décisivement, travaille les élus et les ressortissants mauritaniens au Sénégal en sorte qu’ils ne succombent pas à la tentation fédéraliste ambiante : la section locale du Parti du regroupement mauritanien reste donc loyale aux options que Moktar Ould Daddah a grand peine à faire admettre à l’Assemblée nationale et dans certaines régions du pays.
Un temps, le voici diplomate, à la délégation mauritanienne auprès du Mali jusqu’à son éclatement, puis premier conseiller à Washington. Il lui en restera toujours quelque chose puisqu’il représente le pays ou accompagne le Président dans la plupart des réunions internationales des quinze années qui suivent.
Le jeune président de la jeune République a jusqu’alors fait diriger son cabinet par des Français, Jacques Villandre puis Maurice Larue, tous deux d’exception et recrutés pour n’avoir pas « commandé » dans le pays, au temps colonial. Abdoul Aziz Sall mauritanise avec succès cette fonction plus que délicate ; il l’occupe de Novembre 1961 à Juin 1968.
Discrétion absolue, autorité naturelle qui ne tient ni à une naissance particulière, ni uniquement à la confiance que lui manifeste le Président : l’homme est tout simplement fiable, cela se ressent en profondeur et aussitôt. Je l’ai vécu. Et il est sereinement patriote, Mauritanien totalement, ce qui est parfois une conviction exposée, ainsi lors des événements de Janvier-Février 1966 … Plus exécutant qu’imaginatif ? Sans doute, mais exécuter à un tel niveau et dans des affaires d’une telle diversité suppose bien plus une communion de pensée avec le fondateur qu’une soumission.
Dans les réunions en Comité permanent, puis dans celles du Bureau politique, encore en Juin 1978, c’est un homme qui prend la parole. Ministre de l’Intérieur de Juillet 1968 à Septembre 1971, puis chargé de la permanence du Parti d’Octobre 1971 à Août 1975, c’est lui qui doit en première ligne, ou plus efficacement en seconde ligne, perfectionner l’Etat après les événements de Juin 1968, appliquer la régionalisation et surtout tenir la balance égale dans l’intérieur du pays et sur la scène politique nationale entre les anciens et les modernes, les jeunes contestataires et les traditionnels. Il y parvient.
Devenu président de l’Assemblée nationale en Août 1975 après avoir présidé le groupe parlementaire du Parti cumulativement avec ses fonctions gouvernementales puis à la Permanence, c’est lui qui perçoit le plus nettement la mue dans l’organisation décisionnaire du pays : le pouvoir n’est plus en comité permanent du Bureau politique. Ce comité n’existe plus à compter du congrès d’Août 1975 et ne sera jamais reconstitué, lors même que sans doute la guerre subie au Sahara, le suggérait fortement. Il le regrette.
Malgré cette forte critique pour les dernières années du pouvoir qu’exerce Moktar Ould Daddah – lequel lui maintient cependant sa totale confiance – il demeure fidèle, n’accepte aucun poste d’aucun ordre, est d’une dignité parfaite quand est instruit le procès du fondateur. Au retour d’exil du Président, l’habitude est prise par son admirable épouse, Tokosselle Sy (elle aussi fondatrice, s’il en est, pour le Croissant rouge et pour l’émancipation des femmes mauritaniennes), de porter chaque semaine chez Mariem Daddah un plat traditionnel qu’elle a cuisiné elle-même.
Le Président assurait que son décisif collaborateur avait la « notite » et le considérait comme la mémoire de l’équipe entière. Ses dossiers – principalement classés à l’Assemblée – furent pillés lors du coup de 1978, jamais rendus ni reconstitués. Mais il demeure son passionnant « Journal d’un détenu politique » écrit au jour le jour en forme de « journal de bord » et relu « vingt cinq après ». Encore inédit. Je mets maintenant au net mes entretiens avec Abdoul Aziz Sall que publiera Le Calame, d’ici la fin de l’année.
Pour l’heure et pour longtemps, je pleure celui qui fut, probablement, à la suite de Moktar Ould Daddah mon plus grand et mon plus durable ami en Mauritanie, c’est-à-dire l’un de mes meilleurs et plus attirants amis. Tout court. Que Dieu le reçoive en son paradis, et nous le fasse ensuite rejoindre.
Bertrand Fessard de Foucault
*ancien professeur au Centre de formation administrative, devenu l’Ecole nationale d’administration de Nouakchott
– Février 1965 à Avril 1966
ancien ambassadeur
Source: http://adrar-info.net