M. Lô Gourmo Abdoul est un personnage charismatique de la scène judiciaire et politique du pays. Enseignant à l’université du Havre, en France, il est avocat au barreau de Nouakchott et consultant international et en plus homme politique membre des instances dirigeantes de l’Union des Forces du Progrès (UFP).
Pour ses diverses fonctions, nous l’avons interrogé pour en savoir plus sur la situation générale du pays marquée par une absence de près de trois semaines du chef de l’Etat qui serait en convalescence en France.
L’Authentique : à l’heure actuelle avec l’absence prolongée du président, peut-on parler de vacance du pouvoir ?
Lô Gourmo : notre pays vit une situation particulièrement difficile en raison notamment du grave incident du 13 octobre dernier. D’abord présentée comme " sans gravité " par un membre éminent du Gouvernement, la blessure par balle du Président dans d’obscures conditions s’avère beaucoup plus grave. Depuis plus de trois semaines, la communication du régime tente, très maladroitement, de le présenter comme en état de convalescence voire comme totalement guéri et sur le bord du retour !
Mais le fait est que depuis lors, son absence se prolonge et alimente les rumeurs les plus folles, accentuant l’atmosphère délétère de crise que connaissait le pays bien avant ce douloureux évènement. C’est dans ce contexte qu’est posée avec de plus en plus d’insistance, et pas seulement par l’opposition, la question dite de la " vacance " du pouvoir.
Il convient de préciser que la constitution mauritanienne (art 40 et 41), sans autre précision, se réfère à " la vacance " (de la fonction présidentielle) et à l’ " empêchement définitif " (du Président de la République). Ce sont deux situations générales dans lesquelles la charge de Président de la République n’est plus assumée par son titulaire, sans que n’en soient définies les raisons et conditions. Les seules précisions données dans le texte constitutionnel sont celles relatives à l’autorité habilitée à déclarer la vacance ou l’empêchement définitif à savoir le Conseil constitutionnel et les autorités qui peuvent saisir ce dernier pour constater cette vacance ou cet empêchement définitif.
Du point de vue strictement juridique, tant que le conseil constitutionnel n’a pas été saisi et n’a pas déclaré cette vacance ou cet empêchement définitif, ceux-ci ne peuvent être considérés comme réalisés. La vacance ou l’empêchement définitif étant des faits juridiques, il faut qu’ils soient qualifiés comme tels par le conseil constitutionnel pour déclencher le régime prévu de l’intérim par le Président du Sénat. C’est ce qui s’était passé lors du règlement de la crise résultant du putsch du Général Aziz contre Sidi Ould Cheikh Abdallah.
L’Authentique : l’opposition démocratique a donc tort de parler de vacance de pouvoir ?
Lô Gourmo : pas du tout ! L’opposition réclame d’abord la publication du bulletin de santé du Président car c’est sur la base de ce bulletin de santé et seulement sur sa base que pourrait s’appliquer pleinement le dispositif constitutionnel prévu. En effet, seuls le Président de la République lui-même, le Premier Ministre ou le Président de l’Assemblée Nationale peuvent saisir le conseil constitutionnel sur la situation de vacance (qui n’est pas visée ici car celle-ci suppose la disparition pure et simple du Chef de l’Etat) ou d’empêchement définitif (distinct de la situation d’un empêchement provisoire (comme une maladie plus ou moins prolongée mais non handicapante pour l’exercice de la charge suprême).
La saisine du conseil constitutionnel par le Président lui-même signifie simplement qu’il fait constater sa démission par ce dernier pour lancer le processus de l’intérim.
Ici, la question du bulletin de santé ne se pose pas car le Président est libre de démissionner à tout moment. Il en va autrement du Premier Ministre ou du Président de l’Assemblée Nationale. Comment pourraient -ils saisir le conseil constitutionnel s’ils ne disposent d’aucune information médicale fiable (le bulletin de santé) d’un Président dont la blessure est entourée d’un halo de mystère tant dans ses conditions de réalisation que dans sa gravité ?
Ici, on peut clairement considérer la production du bulletin de santé comme le préalable ou la condition de départ du respect de la constitution. Sans le bulletin de santé du Président de la République, l’une et l’autre de ces deux autorités doivent être considérées comme empêchées de saisir le conseil constitutionnel en violation de la constitution ou, s’ils ne le réclament pas, comme ayant renoncé à leur obligation constitutionnelle. Il y’a lieu ici de relever deux faits majeurs, dans les circonstances actuelles.
D’abord la disparition totale du Gouvernement de l’espace communicationnel qui est en ce moment décisif. Pas une fois le Premier Ministre ou un membre du Gouvernement (à part la première sortie décalée du Ministre de l’Information au moment même de l’incident) n’ont éprouvé le besoin de dire quoi que ce soit alors que les plus folles rumeurs polluent l’ambiance du pays au risque de le déstabiliser très gravement.
D’un point de vue politique, le Gouvernement est démissionnaire. Et le vide de l’Exécutif provoqué par l’absence prolongée de son Chef est devenu sidéral par l’évaporation de ce Gouvernement sans âme et sans corps. Ensuite, le Président de l’Assemblée Nationale a reconnu n’avoir jamais reçu le moindre bulletin de santé du Chef de l’Etat en précisant n’avoir aucune compétence médicale pour se prononcer sur son état uniquement à partir d’une communication téléphonique de 7 mn avec un interlocuteur qu’il dit être lucide mais parlant d’une " voix faible ".
C’est très grave ! Cela signifie que la seule véritable autorité de saisine du conseil constitutionnel ne dispose d’aucune information médicalement fiable pour exercer sa charge constitutionnelle.
Ce n’est pas à l’opposition de prouver qu’il y’a " empêchement " (elle n’a ni les moyens juridiques ni l’accès à l’information nécessaire pour cela !). C’est, au contraire au Gouvernement de prouver que le Chef de l’Etat n’est pas empêché à titre définitif mais seulement provisoire. La charge de la preuve incombe ici au Gouvernement supposé gérer ce dossier médical du Président. S’il ne le fait pas, il rend impossible toute saisine du conseil et donc viole la constitution.
L’opposition est donc en droit dans ce cas de " saisir " le peuple pour lui faire constater le vide juridique et l’empêchement de gouverner qui règne dans ce pays. C’est ce " vide " que certains qualifient un peu maladroitement de " vacance " du pouvoir. C’est le sens des actions de rue en cours depuis le dernier meeting de l’opposition.
L’Authentique : dans cette cacophonie au sein du pouvoir, est-ce que notre Etat est menacé ?
Lô Gourmo : aujourd’hui, toutes les institutions de la République sont par terre ! C’est inédit Tout ce qui est dit à propos des procédures constitutionnelles à mettre en œuvre pour faire face à la situation actuelle de vide est purement et simplement théorique ! Le parlement dans son ensemble est périmé depuis un an. Le Président de l’Assemblée Nationale est, à l’image de son Assemblée, sans prérogatives constitutionnelles de droit positif, du fait du non renouvellement des mandats de ses membres.
Il ne pourrait donc en droit pur saisir le conseil constitutionnel de quoi que ce soit. Le Président du Sénat n’a pas été renouvelé comme l’impose la règle du renouvellement par tiers tous les deux ans. Il ne pourrait donc également assurer un intérim conforme à la constitution. Le conseil constitutionnel a trois de ses membres qui n’ont pas encore prêté serment.
Sa formation incomplète lui interdit donc de se prononcer sur quoi que ce soit ! Le Premier Ministre n’a pas de majorité parlementaire depuis la fin des mandats parlementaires, il ne peut donc saisir qui que ce soit. Le Président de la République est empêché, on ne sait jusqu’à quand ! L’état civil étant encore inachevé, c’est la citoyenneté même de plusieurs centaines de milliers de mauritaniens qui est en cause.
Etc.etc. L’Etat n’est plus gouverné suivant la constitution mais suivant l’opportunité du moment. Aucune sortie de crise par la seule constitution n’est possible aujourd’hui, comme après un Coup d’Etat. La République est par terre. Nous sommes sur pilotage automatique sécuritaire et Dieu sait comment tout ça va finir, dans le contexte des bruits de bottes de plus en plus lourds chez notre voisin immédiat, le Mali !
L’Authentique : dans un scénario probable où la convalescence du président perdure, quelle sera la solution pour sortir de cette crise ?
Lô Gourmo : tout le monde souhaite un prompt rétablissement au Chef de l’Etat et se solidarise avec lui et sa famille dans l’épreuve qu’ils subissent et qui peut frapper tout un chacun. Le Président Ould Abdel Aziz a été très courageux dans cette épreuve comme le montrent les efforts surhumains qu’il a fournis pour rassurer les mauritaniens dès les premières heures de l’incident. Cela l’honore et cela me semble t-il, mérite respect et considération. Mais au-delà du sort individuel de chacun d’entre nous, ce qui importe par-dessus tout, c’est le sort du pays, son avenir, sa gouvernance durable et responsable.
Quoi qu’il arrive, rien ne sera plus comme avant. Nous étions déjà dans une grave crise politique, institutionnelle et économique de grande intensité. Des initiatives étaient en chantier pour redonner au pays une chance de s’en sortir. Tous, d’une manière ou d’une autre, sauf une toute petite poignée de faucons intéressés par le statu quo, voulaient que l’on s’en sorte par la voie du dialogue et du compromis.
Aussi bien la COD, la CAP que des partis membres de la majorité cherchaient d’arrache-pied une telle solution de sortie de crise. Aujourd’hui, la crise a atteint un seuil critique. C’est notre destin qui est en cause au moment où se prépare une guerre qui va sûrement avoir des effets au moins collatéraux sur nous. Notre pays ne pourra supporter à court ou moyen terme, un vide à la tête de l’Exécutif qui viendrait s’ajouter à la démonétisation des autres institutions de l’Etat et à la paralysie de l’administration publique.
Il est urgent que toute la classe politique, aussi bien les partis au pouvoir ou proches de lui que ceux de l’opposition (COD et CAP) nouent le dialogue, se retrouvent autour d’une table-ronde pour débattre en toute franchise du sort du pays et pour déterminer ensemble un canevas de sortie de crise.
Nous avons besoin d’une large union patriotique qui soit efficiente, rassure notre peuple et nos partenaires étrangers et les autres pays frères. Nous avons besoin d’une convention nationale qui revitalise par consensus les institutions moribondes et détermine les conditions de sortie de cette crise tout en redéfinissant les règles du jeu politique avec le soutien actif d’une société civile dynamique et arbitrale. Une convention pour une nouvelle transition démocratique. Alors seulement nous pourrions tous ensemble restaurer des institutions démocratiques fortes et légitimes et échapper aux graves risques qui pointent à l’horizon.
L’Authentique : pourrait-on acheminer vers un nouveau putsch à la Aziz ?
Lô Gourmo : il ne faut pas que le climat actuel perdure ! Notre expérience de ces trente dernières années nous montre clairement dans quelle direction va immanquablement la boussole lorsque s’installe un tel climat d’incertitudes. Mohamed Ould Aziz a fait deux putschs très différents dans leur contexte respectif et leur portée. Le premier a permis, vaille que vaille, de déboulonner l’autocratie militaire, première mouture, et ouvert la voie à une transition démocratique qui, malgré ses faiblesses a permis de faire faire au pays un pas qualitatif en matière de démocratie institutionnelle.
Le second ne ressemble à rien et est une forme de restauration de l’autocratie concentrationnaire militaro-affairiste. En tant que démocrate, l’UFP auquel j’appartiens est hostile par principe au Coup d’Etat quel qu’il soit même si nous ne nous faisons aucune illusion quant à ce que peut signifier cette hostilité de principe par rapport à la real politik découlant du rapport de forces entre secteurs intéressés par le jeu politique au sein du pays.
Il ne faut absolument pas qu’il y ait la moindre incompréhension ou hostilité entre forces sécuritaires et forces politiques. Mais quoi qu’il arrive, rien ne pourra se faire par décision unilatérale de qui que ce soit ! Toute sortie de crise doit être l’affaire de la classe politique et de la société civile avec l’appui des institutions de la République qui sont encore debout et de nos partenaires et amis.
Propos recueillis par Cheikh Oumar NDiaye
Pour ses diverses fonctions, nous l’avons interrogé pour en savoir plus sur la situation générale du pays marquée par une absence de près de trois semaines du chef de l’Etat qui serait en convalescence en France.
L’Authentique : à l’heure actuelle avec l’absence prolongée du président, peut-on parler de vacance du pouvoir ?
Lô Gourmo : notre pays vit une situation particulièrement difficile en raison notamment du grave incident du 13 octobre dernier. D’abord présentée comme " sans gravité " par un membre éminent du Gouvernement, la blessure par balle du Président dans d’obscures conditions s’avère beaucoup plus grave. Depuis plus de trois semaines, la communication du régime tente, très maladroitement, de le présenter comme en état de convalescence voire comme totalement guéri et sur le bord du retour !
Mais le fait est que depuis lors, son absence se prolonge et alimente les rumeurs les plus folles, accentuant l’atmosphère délétère de crise que connaissait le pays bien avant ce douloureux évènement. C’est dans ce contexte qu’est posée avec de plus en plus d’insistance, et pas seulement par l’opposition, la question dite de la " vacance " du pouvoir.
Il convient de préciser que la constitution mauritanienne (art 40 et 41), sans autre précision, se réfère à " la vacance " (de la fonction présidentielle) et à l’ " empêchement définitif " (du Président de la République). Ce sont deux situations générales dans lesquelles la charge de Président de la République n’est plus assumée par son titulaire, sans que n’en soient définies les raisons et conditions. Les seules précisions données dans le texte constitutionnel sont celles relatives à l’autorité habilitée à déclarer la vacance ou l’empêchement définitif à savoir le Conseil constitutionnel et les autorités qui peuvent saisir ce dernier pour constater cette vacance ou cet empêchement définitif.
Du point de vue strictement juridique, tant que le conseil constitutionnel n’a pas été saisi et n’a pas déclaré cette vacance ou cet empêchement définitif, ceux-ci ne peuvent être considérés comme réalisés. La vacance ou l’empêchement définitif étant des faits juridiques, il faut qu’ils soient qualifiés comme tels par le conseil constitutionnel pour déclencher le régime prévu de l’intérim par le Président du Sénat. C’est ce qui s’était passé lors du règlement de la crise résultant du putsch du Général Aziz contre Sidi Ould Cheikh Abdallah.
L’Authentique : l’opposition démocratique a donc tort de parler de vacance de pouvoir ?
Lô Gourmo : pas du tout ! L’opposition réclame d’abord la publication du bulletin de santé du Président car c’est sur la base de ce bulletin de santé et seulement sur sa base que pourrait s’appliquer pleinement le dispositif constitutionnel prévu. En effet, seuls le Président de la République lui-même, le Premier Ministre ou le Président de l’Assemblée Nationale peuvent saisir le conseil constitutionnel sur la situation de vacance (qui n’est pas visée ici car celle-ci suppose la disparition pure et simple du Chef de l’Etat) ou d’empêchement définitif (distinct de la situation d’un empêchement provisoire (comme une maladie plus ou moins prolongée mais non handicapante pour l’exercice de la charge suprême).
La saisine du conseil constitutionnel par le Président lui-même signifie simplement qu’il fait constater sa démission par ce dernier pour lancer le processus de l’intérim.
Ici, la question du bulletin de santé ne se pose pas car le Président est libre de démissionner à tout moment. Il en va autrement du Premier Ministre ou du Président de l’Assemblée Nationale. Comment pourraient -ils saisir le conseil constitutionnel s’ils ne disposent d’aucune information médicale fiable (le bulletin de santé) d’un Président dont la blessure est entourée d’un halo de mystère tant dans ses conditions de réalisation que dans sa gravité ?
Ici, on peut clairement considérer la production du bulletin de santé comme le préalable ou la condition de départ du respect de la constitution. Sans le bulletin de santé du Président de la République, l’une et l’autre de ces deux autorités doivent être considérées comme empêchées de saisir le conseil constitutionnel en violation de la constitution ou, s’ils ne le réclament pas, comme ayant renoncé à leur obligation constitutionnelle. Il y’a lieu ici de relever deux faits majeurs, dans les circonstances actuelles.
D’abord la disparition totale du Gouvernement de l’espace communicationnel qui est en ce moment décisif. Pas une fois le Premier Ministre ou un membre du Gouvernement (à part la première sortie décalée du Ministre de l’Information au moment même de l’incident) n’ont éprouvé le besoin de dire quoi que ce soit alors que les plus folles rumeurs polluent l’ambiance du pays au risque de le déstabiliser très gravement.
D’un point de vue politique, le Gouvernement est démissionnaire. Et le vide de l’Exécutif provoqué par l’absence prolongée de son Chef est devenu sidéral par l’évaporation de ce Gouvernement sans âme et sans corps. Ensuite, le Président de l’Assemblée Nationale a reconnu n’avoir jamais reçu le moindre bulletin de santé du Chef de l’Etat en précisant n’avoir aucune compétence médicale pour se prononcer sur son état uniquement à partir d’une communication téléphonique de 7 mn avec un interlocuteur qu’il dit être lucide mais parlant d’une " voix faible ".
C’est très grave ! Cela signifie que la seule véritable autorité de saisine du conseil constitutionnel ne dispose d’aucune information médicalement fiable pour exercer sa charge constitutionnelle.
Ce n’est pas à l’opposition de prouver qu’il y’a " empêchement " (elle n’a ni les moyens juridiques ni l’accès à l’information nécessaire pour cela !). C’est, au contraire au Gouvernement de prouver que le Chef de l’Etat n’est pas empêché à titre définitif mais seulement provisoire. La charge de la preuve incombe ici au Gouvernement supposé gérer ce dossier médical du Président. S’il ne le fait pas, il rend impossible toute saisine du conseil et donc viole la constitution.
L’opposition est donc en droit dans ce cas de " saisir " le peuple pour lui faire constater le vide juridique et l’empêchement de gouverner qui règne dans ce pays. C’est ce " vide " que certains qualifient un peu maladroitement de " vacance " du pouvoir. C’est le sens des actions de rue en cours depuis le dernier meeting de l’opposition.
L’Authentique : dans cette cacophonie au sein du pouvoir, est-ce que notre Etat est menacé ?
Lô Gourmo : aujourd’hui, toutes les institutions de la République sont par terre ! C’est inédit Tout ce qui est dit à propos des procédures constitutionnelles à mettre en œuvre pour faire face à la situation actuelle de vide est purement et simplement théorique ! Le parlement dans son ensemble est périmé depuis un an. Le Président de l’Assemblée Nationale est, à l’image de son Assemblée, sans prérogatives constitutionnelles de droit positif, du fait du non renouvellement des mandats de ses membres.
Il ne pourrait donc en droit pur saisir le conseil constitutionnel de quoi que ce soit. Le Président du Sénat n’a pas été renouvelé comme l’impose la règle du renouvellement par tiers tous les deux ans. Il ne pourrait donc également assurer un intérim conforme à la constitution. Le conseil constitutionnel a trois de ses membres qui n’ont pas encore prêté serment.
Sa formation incomplète lui interdit donc de se prononcer sur quoi que ce soit ! Le Premier Ministre n’a pas de majorité parlementaire depuis la fin des mandats parlementaires, il ne peut donc saisir qui que ce soit. Le Président de la République est empêché, on ne sait jusqu’à quand ! L’état civil étant encore inachevé, c’est la citoyenneté même de plusieurs centaines de milliers de mauritaniens qui est en cause.
Etc.etc. L’Etat n’est plus gouverné suivant la constitution mais suivant l’opportunité du moment. Aucune sortie de crise par la seule constitution n’est possible aujourd’hui, comme après un Coup d’Etat. La République est par terre. Nous sommes sur pilotage automatique sécuritaire et Dieu sait comment tout ça va finir, dans le contexte des bruits de bottes de plus en plus lourds chez notre voisin immédiat, le Mali !
L’Authentique : dans un scénario probable où la convalescence du président perdure, quelle sera la solution pour sortir de cette crise ?
Lô Gourmo : tout le monde souhaite un prompt rétablissement au Chef de l’Etat et se solidarise avec lui et sa famille dans l’épreuve qu’ils subissent et qui peut frapper tout un chacun. Le Président Ould Abdel Aziz a été très courageux dans cette épreuve comme le montrent les efforts surhumains qu’il a fournis pour rassurer les mauritaniens dès les premières heures de l’incident. Cela l’honore et cela me semble t-il, mérite respect et considération. Mais au-delà du sort individuel de chacun d’entre nous, ce qui importe par-dessus tout, c’est le sort du pays, son avenir, sa gouvernance durable et responsable.
Quoi qu’il arrive, rien ne sera plus comme avant. Nous étions déjà dans une grave crise politique, institutionnelle et économique de grande intensité. Des initiatives étaient en chantier pour redonner au pays une chance de s’en sortir. Tous, d’une manière ou d’une autre, sauf une toute petite poignée de faucons intéressés par le statu quo, voulaient que l’on s’en sorte par la voie du dialogue et du compromis.
Aussi bien la COD, la CAP que des partis membres de la majorité cherchaient d’arrache-pied une telle solution de sortie de crise. Aujourd’hui, la crise a atteint un seuil critique. C’est notre destin qui est en cause au moment où se prépare une guerre qui va sûrement avoir des effets au moins collatéraux sur nous. Notre pays ne pourra supporter à court ou moyen terme, un vide à la tête de l’Exécutif qui viendrait s’ajouter à la démonétisation des autres institutions de l’Etat et à la paralysie de l’administration publique.
Il est urgent que toute la classe politique, aussi bien les partis au pouvoir ou proches de lui que ceux de l’opposition (COD et CAP) nouent le dialogue, se retrouvent autour d’une table-ronde pour débattre en toute franchise du sort du pays et pour déterminer ensemble un canevas de sortie de crise.
Nous avons besoin d’une large union patriotique qui soit efficiente, rassure notre peuple et nos partenaires étrangers et les autres pays frères. Nous avons besoin d’une convention nationale qui revitalise par consensus les institutions moribondes et détermine les conditions de sortie de cette crise tout en redéfinissant les règles du jeu politique avec le soutien actif d’une société civile dynamique et arbitrale. Une convention pour une nouvelle transition démocratique. Alors seulement nous pourrions tous ensemble restaurer des institutions démocratiques fortes et légitimes et échapper aux graves risques qui pointent à l’horizon.
L’Authentique : pourrait-on acheminer vers un nouveau putsch à la Aziz ?
Lô Gourmo : il ne faut pas que le climat actuel perdure ! Notre expérience de ces trente dernières années nous montre clairement dans quelle direction va immanquablement la boussole lorsque s’installe un tel climat d’incertitudes. Mohamed Ould Aziz a fait deux putschs très différents dans leur contexte respectif et leur portée. Le premier a permis, vaille que vaille, de déboulonner l’autocratie militaire, première mouture, et ouvert la voie à une transition démocratique qui, malgré ses faiblesses a permis de faire faire au pays un pas qualitatif en matière de démocratie institutionnelle.
Le second ne ressemble à rien et est une forme de restauration de l’autocratie concentrationnaire militaro-affairiste. En tant que démocrate, l’UFP auquel j’appartiens est hostile par principe au Coup d’Etat quel qu’il soit même si nous ne nous faisons aucune illusion quant à ce que peut signifier cette hostilité de principe par rapport à la real politik découlant du rapport de forces entre secteurs intéressés par le jeu politique au sein du pays.
Il ne faut absolument pas qu’il y ait la moindre incompréhension ou hostilité entre forces sécuritaires et forces politiques. Mais quoi qu’il arrive, rien ne pourra se faire par décision unilatérale de qui que ce soit ! Toute sortie de crise doit être l’affaire de la classe politique et de la société civile avec l’appui des institutions de la République qui sont encore debout et de nos partenaires et amis.
Propos recueillis par Cheikh Oumar NDiaye