Mohamed Ould Abdel Aziz sort vainqueur de l’élection présidentielle. Grâce à un discours populiste, qui a suscité un écho favorable, au sein des couches populaires, il a su s’imposer, après avoir pris, depuis longtemps, plusieurs longueurs d’avance, sur ses concurrents les plus sérieux. Nouveau chantier d’un quinquennat qui devra être, cependant, marqué par une réconciliation entre acteurs politiques.
Il faut, absolument, décrisper la scène politique nationale et, pour cela, procéder à l’ouverture d’un vrai débat, avec l’opposition.
Après ce «raz-de-marée» électoral, l’hypothèse la moins probable est que le «président des pauvres» ne se sente pas revigoré, dans ses attitudes martiales, et procède aux changements (réforme de l’administration et de la justice, notamment) susceptibles de pacifier la scène politique et de faire participer la «vraie» opposition, à la gestion du pays. Cette option, quoique salutaire, est difficilement envisageable.
La seconde hypothèse qui sera, plus certainement, retenue, est de maintenir le statu quo, tant que tout donnera, au moins, l’apparence de bien marcher pour le président. Et ce n’est, pourtant, pas gagné d’avance, tant la situation reste, globalement, difficile dans le pays, après onze mois d’impasse.
Libertés
Les conditions lamentables de détention, dans les prisons, l’absence de recours, en cas de mesures arbitraires, constituent des pratiques auxquelles le président élu se doit de mettre fin. On craint fort la matérialisation de sa promesse d’ouvrir de nouvelles prisons, pour y enfermer les «gabegistes», un nouveau synonyme, apparu entre le 6/08/2008 et le 4/07/2009, d’ «opposants politiques». Plus généralement, la réforme du système judiciaire est jugée comme un impératif majeur. Des auxiliaires de justice et des magistrats moins tribalistes, moins corrompus, plus indépendants des hommes politiques, des lobbies financiers et, surtout, maîtrisant les textes, sont la condition sine qua non d’une telle réforme, car «le problème de la justice est, avant tout, un problème d’hommes, le changement doit venir, d’abord, des magistrats eux-mêmes», observe un de ceux-ci.
Lutte contre la pauvreté
Plus de 40 % des Mauritaniens vivent en-deça du seuil de pauvreté. Les populations, en milieu rural, restent dépendantes d’une pluviométrie capricieuse. Chaque année qui passe apporte, avec elle, son lot d’épidémies de choléra et de disette. L’émergence d’îlots de prospérité, au détriment de couches, de plus en plus nombreuses, de laissés-pour-compte, est une vraie bombe à retardement que le «président des pauvres» se doit de désamorcer, au plus vite, par l’instauration d’un Etat véritablement redistributeur de richesses. «A défaut de l’égalité des ressources, quasiment irréalisable, l’Etat peut et doit assurer, à tous, l’équité ou l’égalité des chances», fait observer un professeur de droit social. Et, du coup, on en arrive à l’épineuse question de l’esclavage ou de ses séquelles (laissons le choix au lecteur). Outre une révolution des mentalités, les priorités vont de l’élaboration de décret d’application de l’ordonnance sur l’abolition de l’esclavage et de la traite des personnes, ainsi que de la loi criminalisant celui-ci, à la mise sur pied d’un secrétariat d’Etat chargé de la réinsertion des anciens esclaves. Mais l’émancipation de ceux-ci reste, largement, tributaire d’une stratégie, globale, contre l’exclusion et la pauvreté, «à travers une série d’actions, séparées mais cimentées par une même philosophie». Et le succès d’une telle stratégie dépend, à son tour, des moyens qui lui seront alloués. Par les mauritaniens, d’abord, mais, aussi, par les ONGs de développement ou de droits humains.
Dans les centres urbains, dont les bidonvilles grossissent, à vue d’œil, le fossé se creuse, jour après jour, entre une minorité qui s’enrichit et des couches, de plus en plus larges, de pauvres qui viendront grossir les rangs des indigents du CSA, seul organisme public auxquels ils peuvent s’adresser. Les municipalités, le Croissant Rouge, la sécurité sociale et les organismes de bienfaisance étant inexistants ou, dans les meilleures des cas, carents. Malgré les opérations de distribution de parcelles, durant la période d’exception, le volume des kebbas est resté, quasiment, le même. Des dizaines de milliers de terrains ont été attribués, ces dernières années, dans les conditions qu’on connaît. Et alors que les villes se développent, dans la plus totale anarchie, sans le moindre plan directeur, les espaces verts se comptent sur les doigts d’une main. Et les places publiques, légalisées ou squattées, sont encore plus rares, voires inexistantes.
Il est urgent de procéder à l’assainissement de l’administration et au choix d’hommes intègres et compétents, notamment dans le domaine des finances publiques et celui du contrôle de leur gestion. Deux secteurs qu’on estime être contrôlés, aujourd’hui, par les commerçants et autres hommes d’affaires de la place. En contribuant, juteusement, aux campagnes électorales – surtout en faveur du candidat désormais président – à hauteur de plusieurs centaines de millions ou milliards d’ouguiyas, ceux-ci se payent l’impunité, sur plus d’un front. Non seulement pour vendre les produits de consommation douteux, éventuellement périmés, aux prix qu’ils veulent – autre préoccupation majeure des Mauritaniens, soit dit en passant – mais, surtout, pour échapper au fisc. Sans parler des opportunités qu’offre le système, mis en place par les commerçants, de récupérer, d’une main, ce qu’ils ont donné de l’autre : la manne des marchés publics. Une telle situation fait dire, à beaucoup, que l’Etat est, aujourd’hui, «dans la poche» d’hommes d’affaires à courte vue, uniquement assoiffés de consolider leur pouvoir.
Education
Tandis que l’école privée dispense, aux enfants des plus nantis, un enseignement relativement performant – personnel trié sur le volet et bilinguisme, dans le fondamental – l’école publique «relève plus de l’élevage intensif que de l’éducation», fait remarquer un professeur. Aux problèmes, désormais classiques, voire «naturels» – classes pléthoriques, manque de matériel et de moyens didactiques, programmes inexistants ou obsolètes, carences en personnel enseignant, etc. – s’ajoute la grogne de celui-ci, mal ou pas du tout formé, dont les doléances constituent autant d’impératifs pour le secteur. Les projets «éducation» qui s’égrènent, l’un après l’autre, ont été, globalement, un échec. Là encore et comme pour le secteur de la pêche, les milliards dépensés n’ont pas laissé de traces, faute de «résultats» probants.
Santé
Certes, les infrastructures sanitaires de base ont connu des progrès importants. Et la quasi-totalité des 205 communes du pays peuvent accéder, à de très faibles coûts, aux premiers soins et ce, grâce au projet «santé et population». Mais, dans les rares hôpitaux que compte le pays, les services restent inaccessibles, pour les plus démunis. Une situation que l’absence de toute couverture sociale est loin de faciliter. En outre, si l’on compare les montants, de plusieurs centaines de millions, dépensés, chaque année, par le département de la santé, pour l’achat, de gré à gré, de médicaments et d’équipements en tous genres, y compris le matériel orthopédique, et l’état des stocks, dans ces hôpitaux et ailleurs, il y a lieu de se poser plus d’une question. De là à conclure que les achats de l’Etat finissent leur parcours, dans les nombreuses pharmacies ou cliniques privés, il n’y a qu’un pas que nous ne franchirons pas, certains que d’autres n’hésiteront pas à fouiller ce trouble espace. D’autant plus que le laisser-aller et l’anarchie totale avec lesquels les médicaments sont écoulés, parfois en plein air, appelle à faire, vigoureusement, face à l’urgence de la situation. On le voit: les défis se pressent, à la porte du nouveau (ancien) locataire du palais ocre. Le choix des modalités de son élection ne lui autoriseront pas beaucoup d’erreurs, encore moins de louvoiements…
THIAM MAMADOU
Source: Calame
Il faut, absolument, décrisper la scène politique nationale et, pour cela, procéder à l’ouverture d’un vrai débat, avec l’opposition.
Après ce «raz-de-marée» électoral, l’hypothèse la moins probable est que le «président des pauvres» ne se sente pas revigoré, dans ses attitudes martiales, et procède aux changements (réforme de l’administration et de la justice, notamment) susceptibles de pacifier la scène politique et de faire participer la «vraie» opposition, à la gestion du pays. Cette option, quoique salutaire, est difficilement envisageable.
La seconde hypothèse qui sera, plus certainement, retenue, est de maintenir le statu quo, tant que tout donnera, au moins, l’apparence de bien marcher pour le président. Et ce n’est, pourtant, pas gagné d’avance, tant la situation reste, globalement, difficile dans le pays, après onze mois d’impasse.
Libertés
Les conditions lamentables de détention, dans les prisons, l’absence de recours, en cas de mesures arbitraires, constituent des pratiques auxquelles le président élu se doit de mettre fin. On craint fort la matérialisation de sa promesse d’ouvrir de nouvelles prisons, pour y enfermer les «gabegistes», un nouveau synonyme, apparu entre le 6/08/2008 et le 4/07/2009, d’ «opposants politiques». Plus généralement, la réforme du système judiciaire est jugée comme un impératif majeur. Des auxiliaires de justice et des magistrats moins tribalistes, moins corrompus, plus indépendants des hommes politiques, des lobbies financiers et, surtout, maîtrisant les textes, sont la condition sine qua non d’une telle réforme, car «le problème de la justice est, avant tout, un problème d’hommes, le changement doit venir, d’abord, des magistrats eux-mêmes», observe un de ceux-ci.
Lutte contre la pauvreté
Plus de 40 % des Mauritaniens vivent en-deça du seuil de pauvreté. Les populations, en milieu rural, restent dépendantes d’une pluviométrie capricieuse. Chaque année qui passe apporte, avec elle, son lot d’épidémies de choléra et de disette. L’émergence d’îlots de prospérité, au détriment de couches, de plus en plus nombreuses, de laissés-pour-compte, est une vraie bombe à retardement que le «président des pauvres» se doit de désamorcer, au plus vite, par l’instauration d’un Etat véritablement redistributeur de richesses. «A défaut de l’égalité des ressources, quasiment irréalisable, l’Etat peut et doit assurer, à tous, l’équité ou l’égalité des chances», fait observer un professeur de droit social. Et, du coup, on en arrive à l’épineuse question de l’esclavage ou de ses séquelles (laissons le choix au lecteur). Outre une révolution des mentalités, les priorités vont de l’élaboration de décret d’application de l’ordonnance sur l’abolition de l’esclavage et de la traite des personnes, ainsi que de la loi criminalisant celui-ci, à la mise sur pied d’un secrétariat d’Etat chargé de la réinsertion des anciens esclaves. Mais l’émancipation de ceux-ci reste, largement, tributaire d’une stratégie, globale, contre l’exclusion et la pauvreté, «à travers une série d’actions, séparées mais cimentées par une même philosophie». Et le succès d’une telle stratégie dépend, à son tour, des moyens qui lui seront alloués. Par les mauritaniens, d’abord, mais, aussi, par les ONGs de développement ou de droits humains.
Dans les centres urbains, dont les bidonvilles grossissent, à vue d’œil, le fossé se creuse, jour après jour, entre une minorité qui s’enrichit et des couches, de plus en plus larges, de pauvres qui viendront grossir les rangs des indigents du CSA, seul organisme public auxquels ils peuvent s’adresser. Les municipalités, le Croissant Rouge, la sécurité sociale et les organismes de bienfaisance étant inexistants ou, dans les meilleures des cas, carents. Malgré les opérations de distribution de parcelles, durant la période d’exception, le volume des kebbas est resté, quasiment, le même. Des dizaines de milliers de terrains ont été attribués, ces dernières années, dans les conditions qu’on connaît. Et alors que les villes se développent, dans la plus totale anarchie, sans le moindre plan directeur, les espaces verts se comptent sur les doigts d’une main. Et les places publiques, légalisées ou squattées, sont encore plus rares, voires inexistantes.
Il est urgent de procéder à l’assainissement de l’administration et au choix d’hommes intègres et compétents, notamment dans le domaine des finances publiques et celui du contrôle de leur gestion. Deux secteurs qu’on estime être contrôlés, aujourd’hui, par les commerçants et autres hommes d’affaires de la place. En contribuant, juteusement, aux campagnes électorales – surtout en faveur du candidat désormais président – à hauteur de plusieurs centaines de millions ou milliards d’ouguiyas, ceux-ci se payent l’impunité, sur plus d’un front. Non seulement pour vendre les produits de consommation douteux, éventuellement périmés, aux prix qu’ils veulent – autre préoccupation majeure des Mauritaniens, soit dit en passant – mais, surtout, pour échapper au fisc. Sans parler des opportunités qu’offre le système, mis en place par les commerçants, de récupérer, d’une main, ce qu’ils ont donné de l’autre : la manne des marchés publics. Une telle situation fait dire, à beaucoup, que l’Etat est, aujourd’hui, «dans la poche» d’hommes d’affaires à courte vue, uniquement assoiffés de consolider leur pouvoir.
Education
Tandis que l’école privée dispense, aux enfants des plus nantis, un enseignement relativement performant – personnel trié sur le volet et bilinguisme, dans le fondamental – l’école publique «relève plus de l’élevage intensif que de l’éducation», fait remarquer un professeur. Aux problèmes, désormais classiques, voire «naturels» – classes pléthoriques, manque de matériel et de moyens didactiques, programmes inexistants ou obsolètes, carences en personnel enseignant, etc. – s’ajoute la grogne de celui-ci, mal ou pas du tout formé, dont les doléances constituent autant d’impératifs pour le secteur. Les projets «éducation» qui s’égrènent, l’un après l’autre, ont été, globalement, un échec. Là encore et comme pour le secteur de la pêche, les milliards dépensés n’ont pas laissé de traces, faute de «résultats» probants.
Santé
Certes, les infrastructures sanitaires de base ont connu des progrès importants. Et la quasi-totalité des 205 communes du pays peuvent accéder, à de très faibles coûts, aux premiers soins et ce, grâce au projet «santé et population». Mais, dans les rares hôpitaux que compte le pays, les services restent inaccessibles, pour les plus démunis. Une situation que l’absence de toute couverture sociale est loin de faciliter. En outre, si l’on compare les montants, de plusieurs centaines de millions, dépensés, chaque année, par le département de la santé, pour l’achat, de gré à gré, de médicaments et d’équipements en tous genres, y compris le matériel orthopédique, et l’état des stocks, dans ces hôpitaux et ailleurs, il y a lieu de se poser plus d’une question. De là à conclure que les achats de l’Etat finissent leur parcours, dans les nombreuses pharmacies ou cliniques privés, il n’y a qu’un pas que nous ne franchirons pas, certains que d’autres n’hésiteront pas à fouiller ce trouble espace. D’autant plus que le laisser-aller et l’anarchie totale avec lesquels les médicaments sont écoulés, parfois en plein air, appelle à faire, vigoureusement, face à l’urgence de la situation. On le voit: les défis se pressent, à la porte du nouveau (ancien) locataire du palais ocre. Le choix des modalités de son élection ne lui autoriseront pas beaucoup d’erreurs, encore moins de louvoiements…
THIAM MAMADOU
Source: Calame