Quotas dans le foot : la Fédération française dans l'embarras

Les accusations de discrimination portées par le site Mediapart contre plusieurs dirigeants du football français ont entraîné samedi la suspension du directeur technique national de la Fédération, François Blaquart, tandis que deux enquêtes sont ouvertes.



Quotas dans le foot : la Fédération française dans l'embarras
L'une, interne à la FFF, est dirigée par le député de Seine-Saint Denis, Patrick Braouezec, président de la Fondation du football; l'autre est menée par l'Inspection générale de la jeunesse et des sports (IGJS), rattachée au ministère. Elles devraient rendre leurs conclusions d'ici huit jours mais d'ores et déjà, la FFF précise dans un communiqué "qu'aucune de ses instances dirigeantes élues n'a validé, ni même envisagé une politique de quotas au recrutement de ses centres de formation".

Jeudi, Mediapart avait publié un article expliquant que plusieurs acteurs importants du football français avaient évoqué, lors d'une réunion en novembre 2010, la possibilité de mettre en place des quotas discriminatoires dans les centres de formation. Ces quotas viseraient les joueurs possédant la double nationalité, susceptibles de choisir de jouer pour leur pays d'origine malgré des sélections dans les équipes de jeunes de l'équipe de France.

MEDIAPART PUBLIE SAMEDI LE VERBATIM DE LA RÉUNION DE NOVEMBRE 2010

Face aux démentis de la FFF, le site persiste et signe samedi. Selon celui-ci, le sélectionneur de l'équipe de France Laurent Blanc s'est dit "tout à fait favorable" à la limitation du nombre de joueurs à double nationalité dans les centres de formation lors d'une réunion avec des responsables de la Fédération française de football en novembre 2010.

Mediapart, qui avait écrit jeudi que "pour les plus hautes instances du football français, l'affaire est entendue : il y a trop de Noirs, trop d'Arabes et pas assez de Blancs sur les terrains", reproduit samedi un extrait de la discussion tenue le 8 novembre 2010, lors d'une réunion de la Direction technique nationale chargée d'examiner les conclusions de l'audit mené sur l'Institut national du football [le Centre de formation de Clairefontaine].

Selon Mediapart, une discussion aux fondements techniques et juridiques aurait dérapé sur des considérations racistes. Dans le verbatim publié par le site et reconnu comme exact par François Blaquart, il est question de privilégier désormais dans la formation des joueurs techniques plutôt que physiques.

"LIMITER À 30 %" LE NOMBRE DE JEUNES AYANT LA DOUBLE NATIONALITÉ DANS LES CENTRES DE FORMATION

Laurent Blanc face à la presse, le 29 avril 2011, à Bordeaux.AFP/PATRICK BERNARD

Les protagonistes se seraient d'autre part penchés sur le problème des jeunes susceptibles de changer de nationalité après leur formation en France. Ceci dérape, selon la transcription publiée par Mediapart, sur des stéréotypes racistes assimilant les noirs aux joueurs physiques et peu techniques, et sur une proposition de quotas concernant le problème juridique des éventuelles doubles nationalités, vu surtout comme franco-africaines.

"Qu'est-ce qu'il y a actuellement comme grands, costauds, puissants ? Les blacks (...) Je crois qu'il faut recentrer, surtout pour des garçons de 13-14 ans, 12-13 ans, avoir d'autres critères, modifiés avec notre propre culture", dirait le sélectionneur Laurent Blanc selon le verbatim."Les Espagnols, ils m'ont dit : 'Nous, on n'a pas de problème. Nous, des blacks, on n'en a pas'", ajoute-t-il.

Erick Mombaerts, entraîneur de l'équipe de France espoirs, rebondit alors en proposant de "limiter" à 30% le nombre de jeunes d'origine étrangère et susceptibles de changer de nationalité dans les centres de formations.

BLANC : "MOI, J'Y SUIS TOUT À FAIT FAVORABLE"

Le sélectionneur se dit ensuite favorable aux quotas concernant le problème des joueurs susceptibles de changer de nationalité : "Moi, j'y suis tout à fait favorable. Ce qui se passe dans le football actuellement, ça me dérange beaucoup. A mon avis, il faut essayer de l'éradiquer. Et ça n'a aucune connotation raciste ou quoi que ce soit. Quand les gens portent les maillots de l'équipe nationale des 16 ans, 17 ans, 18 ans, 19 ans, 20 ans, Espoirs, et qu'après ils vont aller jouer dans des équipes nord-africaines ou africaines, ça me dérange énormément. Ça, il faut quand même le limiter. Je dis pas qu'on va l'éradiquer mais le limiter dans ces pôles-là..."

Le directeur technique François Blaquart dit alors : "On peut s'organiser, en non-dit, sur une espèce de quota. Mais il ne faut pas que ce soit dit". "Faut faire un projet, ajoute-t-il. L'idéal effectivement, c'est de dire, mais pas officiellement : de toute façon, on ne prend pas plus de tant de gamins qui sont susceptibles de changer (de nationalité) à terme."

Laurent Blanc précise ensuite sa pensée : "Moi c'est pas les gens de couleur qui me posent un problème. C'est pas les gens de couleur, c'est pas les gens nord-africains. Moi j'ai aucun problème avec eux. Mais le problème, c'est que ces gens-là doivent se déterminer et essayer qu'on les aide à se déterminer. S'il n'y a que des – et je parle crûment – que des blacks dans les pôles (de jeunes) et que ces blacks-là se sentent français et veulent jouer en équipe de France, cela me va très bien."

SMERECKI TROUVE L'IDÉE "DISCRIMINATOIRE"

Francis Smerecki à Caen le 30 juillet 2010. AFP/KENZO TRIBOUILLARD


Erick Mombaerts explique ensuite que certains clubs, comme Lyon et Marseille, pratiquent déjà une telle politique : "Il y a bien des clubs comme Lyon qui le font dans leur centre de formation. Ils le font systématiquement. J'étais à Marseille là. Et Henri Stambouli (le patron du centre de formation de l'OM) le met en place sur Marseille. Pareil, ils vont limiter le nombre."


Francis Smerecki, sélectionneur des moins de 20 ans, souligne alors que cette idée est "discriminatoire". Il explique : "J'entends bien, mais si on enlève tous ces gens-là ? Si le mec a envie d'être international, c'est quand même normal qu'il aille vers un pays où il va pouvoir jouer. Je pense que c'est humain quand même." Avant d'ajouter : "Aujourd'hui, les règlements ont évolué. Les blacks aujourd'hui, parce que ça a été l'Afrique, et on est fautifs quand même parce qu'on a été les chercher quelque part par wagons entiers. Et aujourd'hui, on voudrait s'en séparer ?"

Erick Mombaerts se défend : "On ne veut pas les enlever ! Les clubs pro, ils peuvent les prendre. Ils se répartissent ! Là, on parle des structures fédérales. Nous, on travaille pour le football français, on ne travaille pas pour les sélections étrangères."

"C'EST UN DÉBAT SUR LES BINATIONAUX"

Francis Smerecki persiste : "Ecoute, moi, ce qui me gêne sur le fond, c'est (qu'il y a) celui qui a la possibilité d'être français-français et d'aller avec Laurent, et celui, parce qu'il n'a pas assez d'aptitudes et de talent pour aller avec Laurent et qui va aller dans un autre pays, et c'est celui-là que vous voudriez éliminer. C'est impossible."

La conversation se prolonge alors sur l'idée que les joueurs techniques petits, vus comme forcément blancs, sont exclus des centres de formations. "Les petits gabarits blancs qui sont dans les pôles espoirs, les clubs pro me les laissent sur les bras. Ils ne les prennent pas, n'importe comment, même si c'est des bons joueurs", dit Erick Mombaerts.


"JE N'AI JAMAIS ENTENDU PARLER DE PROJET DE QUOTAS", AVAIT AFFIRMÉ BLANC VENDREDI

Vendredi, en conférence de presse, Laurent Blanc avait fermement nié l'existence de quotas dans le football français : "Je n'ai jamais entendu parler de projet de quotas !", s'était-il défendu. Avant d'enfoncer le clou : "C'est un sujet sensible. Pour moi, il n'y a pas de projet de quotas, c'est faux. Et c'est un mensonge de dire que le sélectionneur y a participé. Je ne peux donc pas parler d'une chose qui n'existe pas".

Le sélectionneur français avait toutefois tenu à revenir sur "le problème des joueurs binationaux" (lire "Les 'binationaux', ces footballeurs français qui ne jouent pas en bleu"). Il a ainsi déclaré : "Moi je ne parle pas de critères ethniques, je ne parle que de critères techniques. Je ne suis qu'un entraîneur de football. Le seul problème qui existe dans le football concerne les joueurs à double nationalité". "Quand un joueur a porté les couleurs de l'équipe de France en jeunes, ça me dérange qu'il parte jouer pour une autre sélection une fois adulte. On a le droit d'en parler de ça non ? Ce n'est pas parce qu'on est à un an de la présidentielle qu'on ne doit plus parler pendant un an", avait développé l'ancien entraîneur de Bordeaux.


Dimanche 1 Mai 2011
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