Accord de Dakar:Rapport de « faiblesses » équilibrées

Hier, en début de soirée, les délégations représentant les trois grands pôles (FNDD, RFD et UPR-HCE) de l’espace politique mauritanien ont conclu, à Dakar, un accord officiel constituant la première étape dans la solution de la crise qui déchire le pays depuis le coup d’Etat du 6 août 2008. Invités par le président Abdoulaye Wade, à Dakar, les protagonistes de la crise mauritanienne ont engagé leurs premières négociations directes, en terre sénégalaise, le jeudi 28 mai.



Accord de Dakar:Rapport de « faiblesses » équilibrées
Trois jours et trois nuits de discussions, tour à tour, heurtées, laborieuses ou cordiales, auxquelles ont participé la médiation sénégalaise et les émissaires internationaux (Union africaine, ONU, Union européenne, Ligue arabe, Organisation internationale de la francophonie, Etats-Unis, France, Chine...)
Les attitudes des pays et organisations présents ont sensiblement évolué au cours de ces derniers mois. Si l’Union européenne, l’Union africaine, les Etats Unis et l’Organisation internationale de la Francophonie ont condamné, avec force, le coup d’Etat du 6 août 2006, la France (que le front opposé au putsch soupçonne d’être le co-concepteur du coup d’Etat) ne l’a fait que du bout des lèvres. Le président Abdoulaye Wade, lui même, ne ménagea pas sa peine pour rendre le putsch acceptable, et ses auteurs fréquentables. Quant à la Chine et à la Ligue arabe… Après avoir brandi (UA) la menace de sanctions à l’encontre des auteurs du putsch et de leurs principaux soutiens, ou de mise en oeuvre des dispositions disciplinaires prévues par les accords les liant à la Mauritanie (UE), les uns et les autres, ont assoupli, au fil des semaines et des mois, leurs positions, pour ne plus exiger qu’un dialogue inclusif débouchant sur une solution consensuelle. La première médiation conduite par le très fantasque « Guide » libyen, Mouamar Khadafi, fut un mémorable fiasco. Le président en exercice de l’Union africaine était fermement décidé à convaincre les organisations opposées au putsch, Front national pour la défense de la démocratie (FNDD) et le Rassemblement des forces démocratiques (RFD), de la nocivité de la démocratie occidentale et des incomparables avantages de la dictature. La première tentative de médiation sénégalaise subit le même sort. Si les méthodes de Me Abdoulaye Wade et du « Guide libyen était aux antipodes les unes des autres, leurs objectifs semblaient, visiblement, très proches. Ce semi échec conduira à un nouveau round sénégalo international qui, pour la première fois, posera sur la table des propositions concrètes susceptibles de constituer une base de négociations.

Ib[nfléchissements]b
La réunion de Dakar, qui a débouché, hier, sur la conclusion d’un accord est la suite de cette initiative. Les résultats de la rencontre ont été rendus possibles par la conjonction deus facteurs. Le FNDD, après une première phase d’opposition ascendante, avait vu ses capacités de mobilisation réduite par la répression des manifestations publiques, et s’était principalement reposé sur la réprobation internationale du coup d’Etat. Et c’est au moment où elle récupérait des forces, par ses moyens propres et grâce à sa nouvelle alliance avec le RFD, que l’attitude de ses appuis extérieurs étaient sujets à un infléchissement sensible. Le RFD, quant à lui, passé les illusions à propos de la non-éligibilité des militaires, rejoignait le camp anti-putschiste avec toutes ses forces, mais sans contribuer de manière significative à renverser le rapport de forces général.
Dans l’autre camp, la situation n’était pas, non plus, des meilleures. Les sanctions internationales, individuelles et économiques, restaient, comme une épée de Damoclès (même virtuelle), suspendues sur le pays. La démission du général Abdoul Aziz de la présidence du Haut Conseil d’Etat (HCE) et de l’armée, et sa désignation à la présidence de l’Union pour la République, nouvellement créé, n’avaient pas apporté de changement à ce niveau. Mais, surtout, elles n’a pas donné à la candidature de nouvel ex-général une dynamique nouvelle. Au contraire, des pans relativement importants de ce qui constituait la majorité parlementaire, qui semblaient lui être acquis, se sont désolidarisés de son agenda électoral et de sa campagne. Tant et si bien que depuis le 20 mai, la Mauritanie vit la campagne électorale la plus poussive et la plus tristounette qui se puisse imaginer.
Cette situation inédite de « rapport global de faiblesses équilibrées» a donné aux pressions internationales une efficacité plus grande, pressions qui semblent avoir pesé, à la limite de l’intolérable, lors des négociations de Dakar.

Voie de sortie de crise
Le second facteur important est l’attente des populations qu’une crise politique à la durée inédite a plongées dans la lassitude et l’angoisse. Le chômage, celui des jeunes en particulier, la crise économique, la déroute de l’ouguiya, les embarras de la débrouille, la lutte pour la survie au quotidien, c’était déjà trop. Une présidentielle sans enjeux, avec un vrai candidat et trois autres soupçonnées d’“achat passif de candidature”, dont, au moins, deux “nommés”, il n’y avait pas de quoi sauter de joie. S’il doit s’y ajouter les risques de débordements et de dérives, les menaces sur la paix civile, alors bonjour la somalisation ! Ces angoisses et ces peurs ont sans nul doute joué sur l’assouplissement de positions tranchées et diamétralement opposées des uns et des autres, et contribué à faciliter l’établissement d’un climat favorable au consensus.
Les termes de l’accord qui devait être signé dans la soirée d’hier ne constituent pas une véritable sortie de crise. Mais ils inaugurent une voie susceptible d’y conduire. Face à de tels évènements, la question essentielle n’est pas de savoir qui gagne et qui perd, mais ce que chaque partie y gagne et y perd. Pour Aziz et la junte, les gains se calculent en termes d’acceptabilité par l’opposition et par l’opinion internationale, et les pertes s’évaluent en termes d’échec d’une élection programmée. Le FNDD n’atteint pas ses objectifs initiaux de faire tomber le pouvoir militaire, mais réussit à faire échouer l’agenda unilatéral et à créer les conditions d’une transition consensuelle. Le RFD devra probablement accepter la candidature du militaire qu’était O. Abdel Aziz au 6 août 2008, mais le contexte de la prochaine élection présidentielle offre à son chef des conditions beaucoup plus favorables. Le plus important est ailleurs : Qu’y gagne la Mauritanie ? Incontestablement, elle y gagne en paix et tranquillité et en accroissement de ses chances d’aborder les temps difficiles que vit le monde dans de meilleures conditions. Elle y gagne également un climat politique plus favorable à la construction d’une démocratie, que dix mois de combat ont raffermie dans le cœur de nombre de Mauritaniens.

Dangers potentiels
Pour globalement positif qu’il soit, l’accord conclu à Dakar souffre de graves tares et insuffisances, et porte en lui les éléments potentiellement destructeurs. En transformant le règlement d’une situation issue d’un putsch inacceptable en une simple opération électorale dont il ne s’agit plus à présent que d’assurer la transparence, l’équité et la crédibilité, la « communauté internationale » contribue sans aucun doute à préserver la paix civile et à s’économiser des sanctions dont toute la Mauritanie aurait pâti. Mais ce déplacement du noyau de la crise, et le renvoi aux calendes grecques et à d’hypothétiques négociations post-électorales, des réformes institutionnelles indispensables, occulte des questions de fond qui, si elles n’étaient pas réglées à moyen terme, ramèneraient le pays au point de départ
Le ravalement du HCE à un statut d’organisme chargé de la sécurité était déjà acquis avec la démission du général O. Abdel Aziz. Excellent connaisseur de la mentalité de putschistes compulsifs qui, depuis trente ans, imprègne si profondément le milieu des officiers mauritaniens, il avait pris les dispositions pour ne risquer aucun coup de Jarnac de la part de ses frères d’armes. La mise du HCE sous la tutelle du ministère de l’Intérieur a, certes, valeurs politique et symbolique, mais cela s’arrête là. Ses membres savent, eux, à qui ils doivent allégeance et comptes.
Le principal gain en faveur du camp du putsch est le maintien en l’état d’un appareil militaire « putschigène » dont le commandement reste assuré par les officiers supérieurs qui exécutèrent le coup d’Etat du 6 août 2008. Avec le général Ghazouani à l’état major de l’Armée, le général Négri à celui de la Garde nationale, le général O. Bekrine à la gendarmerie, le général O. Hadi à la Sûreté nationale, le Basep encore “sous influence” candidat, les garanties de la « communauté internationale » restent à l’état de vœux pieux.
Le putsch du 6 août 2008 était une occasion d’une mise en échec exemplaire d’un changement anticonstitutionnel par le biais de la lutte intérieure et de la mise au ban international d’un pouvoir militaire illégal. Il semble au contraire que la résistance courageuse, dix mois durant, des forces mauritaniennes favorables à l’ordre démocratique ait été, à la longue pour la « communauté internationale », davantage source d’agacement que motif d’encouragement. Comme si, en dépit de ses proclamations grandiloquentes et de ses menaces verbales, celle-ci était, au fond, plus permissive aux pressions des lobbies des forces de l’argent et des réseaux divers, légaux ou maffieux, que soucieuse de la légalité constitutionnelle des Etats et d’un réel ancrage démocratique dans nos sociétés.

Abdoulaye Ciré Bâ


Dimanche 31 Mai 2009
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