Il y a quelques semaines, disparaissait Mère Houlèye, présidente du collectif des veuves des victimes de répression sous le régime d’Ould Taya (1984–2005). Les organisations de défense des droits des victimes lui ont rendu un vibrant hommage, saluant son courage et son refus de toute compromission. Durant trente ans, cette digne dame est restée constante dans ses revendications, à savoir la vérité sur le massacre des officiers, sous-officiers et soldats en différentes casernes militaires du pays. Les chiffres parlent plus de cinq cents personnes. Et parmi elles, le lieutenant Sall Abdoulaye, fils de Mère Houlèye. Avec un groupe de femmes ayant perdu leurs maris et fils, elle a tenu le flambeau de la résistance. « Nous réclamons la vérité sur ce qui s’est passé dans les casernes mauritaniennes entre 1986 et 1990. Qui a ordonné les exécutions ? Qui a exécuté les ordres et quels sont les complices ? », nous disait-elle lors d’un entretien, le 25 Mars 2009, lors de la « Journée de nationale de réconciliation », décrétée par le général Ould Abdel Aziz qui venait de renverser le président Sidi ould Cheikh Abdallahi.
Mascarade
« Nous réclamons que les auteurs de ses exactions soient jugés ». Cette revendication compte parmi quatre autres : devoir de mémoire, devoir de vérité, devoir de justice et réparations. Ould Abdel Aziz tenta de trouver une « solution à l’amiable » mais ce qu’il espérait surtout obtenir, c’était le vote négro-mauritanien. Il approcha en ce sens les rescapés militaires et leur offrit des réparations, après une séance de prières aux morts à Kaédi, le 25 Mars 2009. Au cours de son discours en la capitale du Gorgol, il demanda pardon au nom de tout le peuple mauritanien. Démarrèrent ensuite des tractations pour identifier les bénéficiaires et leur octroyer des sommes d’argent. Un protocole d’accord avait été signé à la sauvette, dans la nuit du 25 Mars au palais présidentiel. Une mascarade aux yeux de Mère Houlèye qui en rapporta plus tard le déroulement.
« On est venu me chercher dans la soirée du 25 sans me dire où l’on m’amenait. Je devais, me dit-on, rencontrer quelqu’un, sans m’informer de qui il s’agissait. En cours de route, je reconnus le bâtiment du Sénat et le fis savoir. C’est à ce moment-là qu’on me révéla le nom de la personne que nous devions rencontrer : le général ould Abdel Aziz. Lorsque je fus enfin devant lui, après une longue attente, on ne me permit pas de prendre la parole pour exprimer ce qui me tenait à cœur. » Et ce fut seulement au moment de quitter le Palais qu’elle réussit à placer une revendication : « Ayez une pensée pour les veuves, les orphelins et les rescapés qui attendent depuis plus de vingt ans la vérité sur le massacre de leurs proches. – Ce sera fait », lui répondit le Président.
Une délégation des veuves et des orphelins se rendit en suivant à Kaédi, sous la houlette du COllectif des VIctimes de la REpression (COVIRE). Au retour de la cérémonie, Ould Abdel Aziz fit un geste sans qu’on comprenne exactement de quoi il s’agissait : appui, réparation, diya…. La répartition de ce montant suscita de grosses controverses et aboutit à diviser le COVIRE et donc toutes les autres organisations de défense des droits des victimes. Les réunions se tenaient chez Mère Houlèye. Une bâtisse très modeste et humide, envahie par les eaux sitôt qu’il pleuvait à Nouakchott. L’honorable maman resta très amère envers ceux qui l’avaient conduite, la nuit au Palais, pour en quelque sorte la vendre. Elle les accusa d’avoir trahi le « noble combat » pour la mémoire des victimes.
La vérité, rien que la vérité
La réalité est qu’elle ne roula jamais pour de l’argent mais seulement pour connaître les vraies raisons et circonstances de la pendaison de son fils et de vingt-sept de ses camarades dans la base militaire d’Inal, en cette tragique nuit du 27 au 28 Novembre 1990. Elle réclama, de tout temps, une enquête pour que soient clairement identifiés les bourreaux des militaires exécutés. Inflexible, elle ne privilégia jamais les réparations : elle voulait la vérité et est partie au ciel sans l’obtenir en ce bas-monde. Elle aurait pu fonder une ONG, chercher des financements, se faire coopter par le pouvoir, mais elle choisit de préserver la mémoire de son fils arraché à la fleur de l’âge.
L’intervention d’Ould Abdel a fortement ébranlé les organisations de défense des victimes de la répression. Certains en profitèrent pour s’approcher du pouvoir, affaiblissant en conséquence le COVIRE qui n’a jamais plus réussi, depuis, à parler d’une même voix et c’est dans la division que ses membres ont célébré le 25 Mars, journée de réconciliation nationale décrétée depuis Kaédi. Deux lignes n’ont cessé de s’affronter au sein de ces organisations. Celle dirigée par Mère Houlèye campant sur sa position : devoir de vérité et de justice ; l’autre sur des discussions avec le pouvoir autour d’une justice transitionnelle. Aucune n’a prospéré. Les veuves, comme les orphelins et les rescapés, battent depuis le macadam chaque 28 Novembre pour dénoncer une fête d’indépendance « souillée » par le massacre des vingt-huit militaires mauritaniens pendus par leurs confrères d’armes. Pour ces victimes, le 28 Novembre ne marque plus qu’un deuil.
Arrivé au pouvoir en 2019, le président Ghazouani annonça sa détermination à trouver une solution consensuelle à ce passif avec les intéressés. Une commission fut mise sur pied, comprenant des ministres et de hauts responsables de la République mais les organisations représentantes des victimes n’ont su qu’étaler leurs divergences. Les uns affirmaient qu’il fallait se contenter de réparations pécuniaires, jugeant les autres revendications impossibles à satisfaire, puisque les exécutions commises par les forces armées et de sécurité étaient couvertes par la loi d’amnistie de 1993 ; les autres refusant de passer par pertes et profits les crimes de sang. Selon un membre de ladite commission, on a cependant arrêté un certain nombre de revendications, notamment le devoir de mémoire, l’érection d’un mémorial des martyrs, la cartographie des tombes, l’adoption d’une loi pour la non répétition de ce genre de crimes… Mère Houlèye aura été de tous ces combats, sans jamais fléchir.
Durant le premier quinquennat de Ghazouani, le dossier n’a pas beaucoup avancé. Selon les dernières nouvelles, les listes des potentiels bénéficiaires civils et militaires sont entre les mains du commissaire aux droits de l’Homme chargé de procéder aux vérifications nécessaires. Comme on se l’imagine, cela prendra encore du temps, surtout si la proposition de dialogue prôné par le Président réélu, dans son discours du 1er Août dernier, arrive à se tenir : certains acteurs politiques ne manqueront pas d’y mettre sur la table le fameux dossier du passif humanitaire qui continue, comme l’esclavage et ses séquelles, à polluer le vivre ensemble en Mauritanie…
Dalay Lam
Source: https://lecalame.info
Mascarade
« Nous réclamons que les auteurs de ses exactions soient jugés ». Cette revendication compte parmi quatre autres : devoir de mémoire, devoir de vérité, devoir de justice et réparations. Ould Abdel Aziz tenta de trouver une « solution à l’amiable » mais ce qu’il espérait surtout obtenir, c’était le vote négro-mauritanien. Il approcha en ce sens les rescapés militaires et leur offrit des réparations, après une séance de prières aux morts à Kaédi, le 25 Mars 2009. Au cours de son discours en la capitale du Gorgol, il demanda pardon au nom de tout le peuple mauritanien. Démarrèrent ensuite des tractations pour identifier les bénéficiaires et leur octroyer des sommes d’argent. Un protocole d’accord avait été signé à la sauvette, dans la nuit du 25 Mars au palais présidentiel. Une mascarade aux yeux de Mère Houlèye qui en rapporta plus tard le déroulement.
« On est venu me chercher dans la soirée du 25 sans me dire où l’on m’amenait. Je devais, me dit-on, rencontrer quelqu’un, sans m’informer de qui il s’agissait. En cours de route, je reconnus le bâtiment du Sénat et le fis savoir. C’est à ce moment-là qu’on me révéla le nom de la personne que nous devions rencontrer : le général ould Abdel Aziz. Lorsque je fus enfin devant lui, après une longue attente, on ne me permit pas de prendre la parole pour exprimer ce qui me tenait à cœur. » Et ce fut seulement au moment de quitter le Palais qu’elle réussit à placer une revendication : « Ayez une pensée pour les veuves, les orphelins et les rescapés qui attendent depuis plus de vingt ans la vérité sur le massacre de leurs proches. – Ce sera fait », lui répondit le Président.
Une délégation des veuves et des orphelins se rendit en suivant à Kaédi, sous la houlette du COllectif des VIctimes de la REpression (COVIRE). Au retour de la cérémonie, Ould Abdel Aziz fit un geste sans qu’on comprenne exactement de quoi il s’agissait : appui, réparation, diya…. La répartition de ce montant suscita de grosses controverses et aboutit à diviser le COVIRE et donc toutes les autres organisations de défense des droits des victimes. Les réunions se tenaient chez Mère Houlèye. Une bâtisse très modeste et humide, envahie par les eaux sitôt qu’il pleuvait à Nouakchott. L’honorable maman resta très amère envers ceux qui l’avaient conduite, la nuit au Palais, pour en quelque sorte la vendre. Elle les accusa d’avoir trahi le « noble combat » pour la mémoire des victimes.
La vérité, rien que la vérité
La réalité est qu’elle ne roula jamais pour de l’argent mais seulement pour connaître les vraies raisons et circonstances de la pendaison de son fils et de vingt-sept de ses camarades dans la base militaire d’Inal, en cette tragique nuit du 27 au 28 Novembre 1990. Elle réclama, de tout temps, une enquête pour que soient clairement identifiés les bourreaux des militaires exécutés. Inflexible, elle ne privilégia jamais les réparations : elle voulait la vérité et est partie au ciel sans l’obtenir en ce bas-monde. Elle aurait pu fonder une ONG, chercher des financements, se faire coopter par le pouvoir, mais elle choisit de préserver la mémoire de son fils arraché à la fleur de l’âge.
L’intervention d’Ould Abdel a fortement ébranlé les organisations de défense des victimes de la répression. Certains en profitèrent pour s’approcher du pouvoir, affaiblissant en conséquence le COVIRE qui n’a jamais plus réussi, depuis, à parler d’une même voix et c’est dans la division que ses membres ont célébré le 25 Mars, journée de réconciliation nationale décrétée depuis Kaédi. Deux lignes n’ont cessé de s’affronter au sein de ces organisations. Celle dirigée par Mère Houlèye campant sur sa position : devoir de vérité et de justice ; l’autre sur des discussions avec le pouvoir autour d’une justice transitionnelle. Aucune n’a prospéré. Les veuves, comme les orphelins et les rescapés, battent depuis le macadam chaque 28 Novembre pour dénoncer une fête d’indépendance « souillée » par le massacre des vingt-huit militaires mauritaniens pendus par leurs confrères d’armes. Pour ces victimes, le 28 Novembre ne marque plus qu’un deuil.
Arrivé au pouvoir en 2019, le président Ghazouani annonça sa détermination à trouver une solution consensuelle à ce passif avec les intéressés. Une commission fut mise sur pied, comprenant des ministres et de hauts responsables de la République mais les organisations représentantes des victimes n’ont su qu’étaler leurs divergences. Les uns affirmaient qu’il fallait se contenter de réparations pécuniaires, jugeant les autres revendications impossibles à satisfaire, puisque les exécutions commises par les forces armées et de sécurité étaient couvertes par la loi d’amnistie de 1993 ; les autres refusant de passer par pertes et profits les crimes de sang. Selon un membre de ladite commission, on a cependant arrêté un certain nombre de revendications, notamment le devoir de mémoire, l’érection d’un mémorial des martyrs, la cartographie des tombes, l’adoption d’une loi pour la non répétition de ce genre de crimes… Mère Houlèye aura été de tous ces combats, sans jamais fléchir.
Durant le premier quinquennat de Ghazouani, le dossier n’a pas beaucoup avancé. Selon les dernières nouvelles, les listes des potentiels bénéficiaires civils et militaires sont entre les mains du commissaire aux droits de l’Homme chargé de procéder aux vérifications nécessaires. Comme on se l’imagine, cela prendra encore du temps, surtout si la proposition de dialogue prôné par le Président réélu, dans son discours du 1er Août dernier, arrive à se tenir : certains acteurs politiques ne manqueront pas d’y mettre sur la table le fameux dossier du passif humanitaire qui continue, comme l’esclavage et ses séquelles, à polluer le vivre ensemble en Mauritanie…
Dalay Lam
Source: https://lecalame.info