
« Il faut bien que les dictateurs gagnent les élections, sinon ils n’en feront plus!» La perle, attribuée à Jacques Chirac, fut rapportée par «Le Canard enchaîné» du 28 juillet 1999. C’était un peu plus de deux ans après le décès de Jacques Foccart, grand maître, s’il en fût, des relations tortueuses entre la France et son «pré carré» africain. Et certes: la Françafrique n’avait pas attendu le décès de son célèbre mentor pour exploser en une nébuleuse d’acteurs que Jacques Chirac avait grand mal à contrôler. Jacques le fataliste… Une image plus aimable que celle de Jack l’Eventreur, qui circule, avec beaucoup d’échos médiatiques, dans les milieux «généralement bien informés». On n’imagine pas à quel point les luttes de clans, pour ne pas dire tribales, ont mené, mènent toujours, la politique étrangère de la France en Afrique.
Quoique Sarko 1er ait pu affirmer, pince-sans-rire, que «la France, économiquement, n’a pas besoin de l’Afrique» – c’était à l’occasion de son séjour au Mali en mai 2006 – rappelons qu’en 2003, le solde, bénéficiaire, bien évidemment, du commerce extérieur du petit hexagone avec le continent noir était de 3,2 milliards d’euros, soit l’équivalent de son solde avec l’Europe.
De quoi aiguiser les appétits. Et il y a du monde en ce panier de crabes. De Total/Elf/Fina à Bolloré, en passant par Bouygues, Suez, Rougier, Luchaire, Castel ou Pinault, la liste est longue des gros intérêts qui s’intéressent aux élections africaines. Sans compter les plus ou moins petites mains crasseuses, variablement mafieuses, comme les Feliciaggi et autres Nadhmi Auchi, Leandri ou Venturi. Et les structures officielles de l’Etat français, Cellule africaine et COS (Commandement des opérations Spéciales) en tête: DGSE, DRM, DST, SCTIP, DPSP. Ne parlons plus de la SOFREMI – la SOciété FRançaise d’Exportation du Ministère de l’Intérieur, qui regroupait l’Etat, Thompson et Alcatel – où les Sirven et autre Torallo besognaient pour le compte du grand Pasqua, un des artisans de la carrière de Sarkozy et qui fait, le menu, aujourd’hui, de son carnassier élève.
Clans françafricains
Nous y voilà. La fin du règne chiraquien, qui avait tant cohabité, sonnait la guerre des clans françafricains. En Mauritanie, les déboires d’un certain Jean-Christophe Mitterand, en 2005, au lendemain d’un premier coup d’Etat, disons prospectif, présageait de luttes féroces. Qui monterait sur le fauteuil élyséen? A cet égard, il est probable que notre premier-président-démocratiquement-élu, Sidi Ould Cheikh Abdallahi, n’ait été «pensé» qu’en situation d’attente, une sorte de président transitionnel, en somme, et notre confrère Ould Oumère voyait sans doute fort juste en titrant, au lendemain de l’élection de celui-là, «Après la transition militaire, la transition démocratique»… Et pendant que se nouait, en secret, notre intrigue nationale, autour du combat des cousins colonels – Ely et Aziz – qu’espérait arbitrer, à son avantage, notre éternel roulé dans la farine, Ahmed Ould Daddah, la dégringolade du clan Pasqua, suivie de celle, moins sensationnelle, du clan Villepin, suivait son cours, de plus en plus apparemment inéluctable. Tandis que se précisait les contours d’une Françafrique «réformée», mondialisée, resituant les guéguerres hexagonales dans un contexte planétaire.
Pour exemple, l’arrivée, en Tunisie, courant mai 2007, du géant mondial de l’acier, Lakshmi Mittal, guidé par le fort trouble Lyès Ben Chédli, assez introduit auprès de Sarko 1er, rappelle que les intérêts indiens sont assez divergents des intérêts chinois pour intéresser la «diplomatie» sarkozienne. Ce n’est évidemment pas un hasard si le groupe sidérurgique basé à Rotterdam, aux Pays-Bas, conclut, en décembre 2007, un mémorandum d’entente avec notre Société Nationale Industrielle et Minière (SNIM). Lyès Ben Chédli a de bons amis, en Mauritanie. Tout comme l’inénarrable Robert Bourgi, autre poisson des eaux françafricaines, sénégalo-libanais, quant à lui, qui se détache, ostensiblement, du milieu villepinesque pour rejoindre de plus lucratives affinités sarkoziennes.
Laissons la parole à Sarko 1er, dont le lyrisme, à l’occasion de la remise de la rosette de chevalier de la Légion d’honneur à l’affairiste dakarois, en septembre 2007, n’a pas manqué de dégouliner sur la place. «Je sais, cher Robert, pouvoir continuer à compter sur ta participation à la politique étrangère de la France, avec efficacité et discrétion. Je sais que, sur ce terrain de l'efficacité et de la discrétion, tu as eu le meilleur des professeurs et que tu n'es pas homme à oublier les conseils de celui qui te conseillait jadis, de «rester à l'ombre, pour ne pas attraper de coup de soleil». Sous le chaud soleil africain, ce n'est pas une vaine précaution. Jacques Foccart avait bien raison.»
De Foccart à Joyandet, la route est, maintenant, presque libre. Il reste, notamment, la petite épine Kouchner, qui semblerait entretenir, sous les apparences d’une vertu démocratique retrouvée, l’illusion d’une politique africaine française désafrançafricanisée. Mais voilà. L’homme a «oublié» de se démettre, lors de sa nomination ministérielle, de ses fonctions lucratives au sein de la célèbre BK Consultant, dont les liens avec Africa Steps et Imeda, deux autres boîtes de consultations, en problèmes de gros sous avec l’Etat du Gabon, sont plus qu’avérés. Sous la menace d’un scandale, Kouchner lâche, en mars 2008, Jean-Marie Bockel, son homme au ministère de la Coopération. Pour comprendre le circuit, on notera, seulement, que Bourgi appelait Omar Bongo «papa»… Suivent, bientôt, Bruno Joubert, le patron de la cellule africaine de l’Elysée, nommé ambassadeur au Maroc, et ses adjoints fidèles, Romain Serman, nommé consul général à San Francisco, et Rémi Maréchaux, en instance probable de nouvelle affectation, quant à lui.
Le jeudi 22 octobre, les trois hommes déjeunaient au Cercle Interallié, à deux pas de la Présidence de la République. Ils ont eu l’occasion d’échanger quelques mots avec un certain Ely Ould Mohamed Vall en villégiature dans la capitale parisienne et attablé, lui aussi, dans le célèbre établissement. A-t-il répété ce qu’il ne cesse de dire, ces derniers temps : «S’agit-il, vraiment, de lutter contre le terrorisme à visage islamiste? Mauvais calcul de la France. On ne peut vaincre le terrorisme qu'avec un pouvoir stable et légitime. Or celui d'Abdel Aziz n'est ni l'un ni l'autre.» Bockel et ses amis auront, alors, certainement opiné du chef. La disgrâce n’interdit pas la politesse. Pendant ce temps, Mohamed Ould Abdel Aziz préparait, avec son mentor Mohamed Ould Bouamatou – dont les relations françafricaines ne sont pas, non plus, tout-à-fait négligeables – son triomphe élyséen, trois ans, presque jour pour jour, après celui de son cousin, dans les mêmes lieux. Point de déjeuner avec monsieur Kouchner, on le comprend mieux, maintenant, mais monsieur Joyandet, oui, et l’aimable Péant, si adapté aux variations sarkoziennes, et Bourgi, bien sûr, l’inénarrable. Ils ont dû porter un toast au démarrage des activités de Total/Elf/Fina, le 25 septembre, dans le bassin de Taoudenni. A la Françafrique, messieurs, et vive le champagne!
Ben Abdellah
Source:Lecalame
Quoique Sarko 1er ait pu affirmer, pince-sans-rire, que «la France, économiquement, n’a pas besoin de l’Afrique» – c’était à l’occasion de son séjour au Mali en mai 2006 – rappelons qu’en 2003, le solde, bénéficiaire, bien évidemment, du commerce extérieur du petit hexagone avec le continent noir était de 3,2 milliards d’euros, soit l’équivalent de son solde avec l’Europe.
De quoi aiguiser les appétits. Et il y a du monde en ce panier de crabes. De Total/Elf/Fina à Bolloré, en passant par Bouygues, Suez, Rougier, Luchaire, Castel ou Pinault, la liste est longue des gros intérêts qui s’intéressent aux élections africaines. Sans compter les plus ou moins petites mains crasseuses, variablement mafieuses, comme les Feliciaggi et autres Nadhmi Auchi, Leandri ou Venturi. Et les structures officielles de l’Etat français, Cellule africaine et COS (Commandement des opérations Spéciales) en tête: DGSE, DRM, DST, SCTIP, DPSP. Ne parlons plus de la SOFREMI – la SOciété FRançaise d’Exportation du Ministère de l’Intérieur, qui regroupait l’Etat, Thompson et Alcatel – où les Sirven et autre Torallo besognaient pour le compte du grand Pasqua, un des artisans de la carrière de Sarkozy et qui fait, le menu, aujourd’hui, de son carnassier élève.
Clans françafricains
Nous y voilà. La fin du règne chiraquien, qui avait tant cohabité, sonnait la guerre des clans françafricains. En Mauritanie, les déboires d’un certain Jean-Christophe Mitterand, en 2005, au lendemain d’un premier coup d’Etat, disons prospectif, présageait de luttes féroces. Qui monterait sur le fauteuil élyséen? A cet égard, il est probable que notre premier-président-démocratiquement-élu, Sidi Ould Cheikh Abdallahi, n’ait été «pensé» qu’en situation d’attente, une sorte de président transitionnel, en somme, et notre confrère Ould Oumère voyait sans doute fort juste en titrant, au lendemain de l’élection de celui-là, «Après la transition militaire, la transition démocratique»… Et pendant que se nouait, en secret, notre intrigue nationale, autour du combat des cousins colonels – Ely et Aziz – qu’espérait arbitrer, à son avantage, notre éternel roulé dans la farine, Ahmed Ould Daddah, la dégringolade du clan Pasqua, suivie de celle, moins sensationnelle, du clan Villepin, suivait son cours, de plus en plus apparemment inéluctable. Tandis que se précisait les contours d’une Françafrique «réformée», mondialisée, resituant les guéguerres hexagonales dans un contexte planétaire.
Pour exemple, l’arrivée, en Tunisie, courant mai 2007, du géant mondial de l’acier, Lakshmi Mittal, guidé par le fort trouble Lyès Ben Chédli, assez introduit auprès de Sarko 1er, rappelle que les intérêts indiens sont assez divergents des intérêts chinois pour intéresser la «diplomatie» sarkozienne. Ce n’est évidemment pas un hasard si le groupe sidérurgique basé à Rotterdam, aux Pays-Bas, conclut, en décembre 2007, un mémorandum d’entente avec notre Société Nationale Industrielle et Minière (SNIM). Lyès Ben Chédli a de bons amis, en Mauritanie. Tout comme l’inénarrable Robert Bourgi, autre poisson des eaux françafricaines, sénégalo-libanais, quant à lui, qui se détache, ostensiblement, du milieu villepinesque pour rejoindre de plus lucratives affinités sarkoziennes.
Laissons la parole à Sarko 1er, dont le lyrisme, à l’occasion de la remise de la rosette de chevalier de la Légion d’honneur à l’affairiste dakarois, en septembre 2007, n’a pas manqué de dégouliner sur la place. «Je sais, cher Robert, pouvoir continuer à compter sur ta participation à la politique étrangère de la France, avec efficacité et discrétion. Je sais que, sur ce terrain de l'efficacité et de la discrétion, tu as eu le meilleur des professeurs et que tu n'es pas homme à oublier les conseils de celui qui te conseillait jadis, de «rester à l'ombre, pour ne pas attraper de coup de soleil». Sous le chaud soleil africain, ce n'est pas une vaine précaution. Jacques Foccart avait bien raison.»
De Foccart à Joyandet, la route est, maintenant, presque libre. Il reste, notamment, la petite épine Kouchner, qui semblerait entretenir, sous les apparences d’une vertu démocratique retrouvée, l’illusion d’une politique africaine française désafrançafricanisée. Mais voilà. L’homme a «oublié» de se démettre, lors de sa nomination ministérielle, de ses fonctions lucratives au sein de la célèbre BK Consultant, dont les liens avec Africa Steps et Imeda, deux autres boîtes de consultations, en problèmes de gros sous avec l’Etat du Gabon, sont plus qu’avérés. Sous la menace d’un scandale, Kouchner lâche, en mars 2008, Jean-Marie Bockel, son homme au ministère de la Coopération. Pour comprendre le circuit, on notera, seulement, que Bourgi appelait Omar Bongo «papa»… Suivent, bientôt, Bruno Joubert, le patron de la cellule africaine de l’Elysée, nommé ambassadeur au Maroc, et ses adjoints fidèles, Romain Serman, nommé consul général à San Francisco, et Rémi Maréchaux, en instance probable de nouvelle affectation, quant à lui.
Le jeudi 22 octobre, les trois hommes déjeunaient au Cercle Interallié, à deux pas de la Présidence de la République. Ils ont eu l’occasion d’échanger quelques mots avec un certain Ely Ould Mohamed Vall en villégiature dans la capitale parisienne et attablé, lui aussi, dans le célèbre établissement. A-t-il répété ce qu’il ne cesse de dire, ces derniers temps : «S’agit-il, vraiment, de lutter contre le terrorisme à visage islamiste? Mauvais calcul de la France. On ne peut vaincre le terrorisme qu'avec un pouvoir stable et légitime. Or celui d'Abdel Aziz n'est ni l'un ni l'autre.» Bockel et ses amis auront, alors, certainement opiné du chef. La disgrâce n’interdit pas la politesse. Pendant ce temps, Mohamed Ould Abdel Aziz préparait, avec son mentor Mohamed Ould Bouamatou – dont les relations françafricaines ne sont pas, non plus, tout-à-fait négligeables – son triomphe élyséen, trois ans, presque jour pour jour, après celui de son cousin, dans les mêmes lieux. Point de déjeuner avec monsieur Kouchner, on le comprend mieux, maintenant, mais monsieur Joyandet, oui, et l’aimable Péant, si adapté aux variations sarkoziennes, et Bourgi, bien sûr, l’inénarrable. Ils ont dû porter un toast au démarrage des activités de Total/Elf/Fina, le 25 septembre, dans le bassin de Taoudenni. A la Françafrique, messieurs, et vive le champagne!
Ben Abdellah
Source:Lecalame