Le texte dessous comporte un message à caractère partisan, destiné, en priorité, à tous ceux qui apprécient Hanevy et partagent son engagement. Les autres, c'est à dire nos ennemis politiques, en particulier les pro-putsch, sont priés de s'épargner cette lecture.
Il était 12h07 à Washington DC, ce mardi 20 janvier 2009, béni du ciel. L'écran diffusait la cérémonie en direct sur CNN et mes tympans sonnaient, au bord de l'explosion ; se les disputait Hanevy qui crie, en tentant de couvrir la voix, pourtant puissante, d'Aretha Franklin ; elle entonne un Gospel qui fleur bon son Tennessee natal.
Soudain, des travées du Capitole monte une clameur, le speaker annonce l'arrivée imminente du héros du jour. La diva de Memphis laisse la place à l'investiture et Hanevy me dit : je veux ça.
Il désignait cette ferveur populaire, cette communion collective et ce désir de démocratie, de liberté et de justice incarné par l'arrivée, à la tête de la première puissance, d'un président confluent de tant de cultures, de sang mêlé et des meilleures promesses de volontarisme.
Hanevy décide, à ce moment, de laisser l'Amérique vivre son printemps. Avec acharnement, il reprend ses cours afin d'en finir au plus vite puis, quelques mois plus tard, rejoint le JFK International Airport, direction Nouakchott, via Casablanca.
Dans l'ambiance de réconciliation consécutive à la signature de l'accord de Dakar, Ndeïamy (sa maman) et Nevissé (son épouse) crurent que Hanevy était venu passer des vacances puisque les menaces d'arrestation appartenaient au passif de la crise, à présent épuré par la solution politique.
Hanevy, lui, ne manquait de lucidité ; dans le cercle le plus proche du Général Mohamed Ould Abdel Aziz, il ne lui échappait qu’un lobby jurait sa perte et y travaillait, d’arrache-pied, après avoir tenté, sans succès, de le maîtriser, depuis ce fameux jour où ils envoyaient, chez lui, un porteur des propositions d’avenir radieux.
L’entrevue se déroulait quelques jours après le coup d’état du 6 août 2008, mené par le Général Ould Abdel Aziz. Allal Ould Hadj, frère du vice-président du Sénat Mohcen Ould Hadj se chargeait de l’approche, pour le compte des putschistes. Hanevy et lui partagent un goût prononcé pour les lettres. Allal était à l'origine de la première foire du livre à Nouakchott et son bureau de l'immeuble BMCI (ex-Afarco), regorge d'éditions rares des plus belles pages de la littérature arabe, d'Abou Nawass à Tayeb Saleh.
Hanevy poursuivait des études aux États-Unis. Allal se présente à son domicile. A l’épouse de son ami qui l’accueille, il tient ce discours sans équivoque : "Nous avons prie le pouvoir, ton mari est notre ami et nous avons, pour lui, beaucoup de respect mais apparemment ce n'est pas réciproque. Dès le début, il tire sur nous à boulets rouges, ne nous accorde le bénéfice du doute ni nous laisse la moindre chance. Il nous condamne dès le début".
Voyant que Madame l'écoute poliment, il s'enhardit : "Regarde toi, regarde quel avenir tu vas offrir à tes enfants, toi et ton mari vous habitez dans un appartement de location. Hanevy se fait manipuler par nos ennemis alors que nous, on lui veut du bien parce que nous connaissons sa valeur".
Et de conclure : "Si vous arrivez à le convaincre d'être plus clément avec nous - il n'est pas obligé de nous soutenir ouvertement mais juste se montrer moins virulent - alors je te garantis que vous aurez une maison à vous, suffisamment d'argent pour bien élever vos enfants et, si Hanevy est d'accord, je lui propose un poste prestigieux dans le ministère de la communication ou dans une ambassade de son choix".
Polie, comme le lui dicte une éducation maraboutique et un certain sens de la relativité, Madame lui répond : "Je transmets à Hanevy et il vous dira directement ce qu'il pense".
Le jour même, le iPhone d'Allal sonne ; au bout du fil, un Hanevy incapable d'aligner deux mots, tellement la rage l'étranglait. Il finit tout de même par faire comprendre, à son interlocuteur, qu’en lui proposant de monnayer sa plume, il vient d'enterrer leur amitié.
Avec Kemal Ould Mohamedou les choses se passent de manière plus souple. Frère de l'actuel chef de la diplomatie Mohamed Mahmoud Ould Mohamedou, il parait, lui-même, bien plus cultivé et fin qu’Allal. Il avait entamé une collaboration discrète, avec Taqadoumy, bien avant le putsch. A l'époque, sa retenue et son efficacité contribuèrent, pour beaucoup, à rendre la presse plutôt indulgente avec les parlementaires promoteurs "de la motion de censure", contre le Gouvernement de Ould Waghf, devenu le siège d’une réhabilitation rampante des symboles décriés de la dictature sous Ould Taya. Taqadoumy, à ce moment, s’évertuait au dévoilement de cette connivence soudaine et surprenante, entre le Président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdellahi et une poignée de cadres, impunément impliqués dans les pires épreuves de la Mauritanie.
Afin de garantir le succès de l’opération de déstabilisation du Président de la République Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdellahi, son Chef d'État-major particulier le Général Ould Abdel Aziz, entame des négociations confidentielles, avec le leader de l'opposition Ahmed Ould Daddah dont le parti, le Rassemblement des forces démocratiques (RFD) finit par rejoindre la fronde.
Le ralliement sera négocié avec Ould Daddah, de bout en bout, par Kemal. Afin de ne pas attirer l'attention, ce dernier prend l'habitude de fréquenter la même mosquée que le président du RFD. Le moment choisi, la prière du Maghreb, favorise l’intrigue entre deux ombres du clair-obscur. Après quoi, les deux attendaient la prière de El-Icha dans l'enceinte de la mosquée. Adossés au même pilier, ils négociaient, chapelet à la main.
Juste après, Kemal se rendait chez Ould Abdel Aziz pour lui livrer un compte rendu et prendre sa réponse, qu'il transmet à Ould Daddah, le lendemain.
Taqadoumy ne manquait de savoir toutes ces péripéties mais n'en diffusait que ce qu'elle estimait utile pour les lecteurs. Le reste, c'est à dire le off the record servait, à notre comité de rédaction, afin de jeter un éclairage sur les événements, la source demeurant confidentielle.
Le matin du putsch, Kemal a fait preuve d'un sang froid remarquable. A la hâte, il a monté une cellule de communication, dans l'enceinte même de la Présidence, avec l'aide de Yeslem Ould Ebnou Abden, journaliste de métier, ex-militant marxiste des années 1970, depuis converti à une souplesse politique quasiment sans limite.
Kemal approche alors Taqadoumy et tient à peu près ce propos : "Devant l'intransigeance de Sidi à bloquer les institutions, nous avons été obligés de prendre les choses en main. Le retour de Sidi au pouvoir est maintenant impossible. Voyons, ensemble, comment on peut faire afin de favoriser le rétablissement de l'ordre constitutionnel".
Puis il nous apprend que le Général Ould Abdel Aziz va rendre publiques deux décisions, dans la soirée :
- La première concerne l'instance militaire en charge de diriger le pays. Selon Kemal, elle se composera de 12 membres, moitié civils moitié militaires. Il fournira même quelques précisions : parmi les figures en uniforme, il cite les chefs des Etats-majors (particulier du Président, Armée, Gendarmerie et Garde) ainsi que le Directeur Général de la Sureté Nationale (DGSN) et le Commandant de la 6ème région militaire. Six civils s’y joindraient : le leader de l'opposition, les présidents et les chefs du groupe majoritaire des deux chambres du Parlement et le président du Conseil constitutionnel.
- La seconde concerne le prochain scrutin présidentiel : il sera organisé dans les 6 mois.
J'étais d'avis de donner une chance à la nouvelle équipe. L'introduction de civils dans le haut commandement me parut, en particulier, comme une manière douce de pousser les militaires hors du pouvoir. L’Objectif de Taqadoumy consistait, alors, à obtenir que les hommes en armes ne se portent candidats à la magistrature ni ne puissent porter au pouvoir l’une de leurs créatures.
Hanevy, beaucoup moins naïf que moi, me rit au nez ; pour lui, en l'absence de l’engagement que Ould Abdel Aziz ne participerait au prochain scrutin, il importe de traiter le nouveau pouvoir sans aucune complaisance. Finalement, nous décidâmes tous les deux de suivre, chacun, son instinct ; ainsi, les éditions Arabe et Française de Taqadoumy se mirent à dépeindre la réalité politique du moment, sous deux jours distincts.
Le lendemain, Messaoud Ould Boulkheïr refusa catégoriquement de siéger avec les militaires et l'idée de partager le pouvoir s’évanouira dans le déluge naissant des marches de soutien et autres médiocrités nationales, où le peuple et ses notables communient souvent à l’unisson de leur petitesse. Aussitôt, je le compris, Hanevy avait raison.
Dès l'instant où ce cercle (le Général, mais aussi Kemal, Allal et leurs deux grands frères) comprend que la plume de Hanevy (encore moins Taqadoumy) n'est pas à acheter, ni par les propositions concrètes de Allal ni celles plus subtiles de Kemal, la décision semblait prise, selon toute logique : il fallait casser Taqadoumy.
Et c'est ainsi que Abou El Abass Ould Braham, professeur d'anglais à l'université de Nouakchott et intervenant régulier sur le site, échoue en prison, durant quelques jours, sous le fallacieux chef d'interrogatoire : insulte à un membre du Haut Conseil d'État !
La "Mauritanie des profondeurs" est un concept cher à Ould Abdel Aziz, tellement cher qu'il a failli lui coûter la vie. Lors de l'atterrissage forcé de son hélicoptère (ou plutôt celui de l'Armée dont il se prétend démissionnaire), Ould Abdel Aziz a eu l'occasion de voir, de près, l’envers du décor que son entourage s'évertue à lui cacher, comme il l’a déjà fait avec son mentor Maaouiya Ould Sid'Ahmed Taya.
Ould Braham, sous les arabesques sa plume, réalisa une exégèse du concept dont il fait ressortir la comparaison du Colonel Ahmedou Bomba Ould Baye au Docteur Goebbels, responsable de la communication du 3ème Reich.
Ould Abdel Aziz embastilla Ould Braham et le site de Taqadoumy échappa alors aux yeux des internautes mauritaniens. Fermé, interdit, sur décision de justice. Devant le tollé soulevé par cette double tentative de musellement, le gouvernement sacrifie le Procureur de la République de l'époque, s'excuse et revient sur les deux décisions.
L'entourage de Ould Abdel Aziz en a tiré une leçon : il ne faut jamais attaquer la presse de front, il s’agit à présent de chercher un paravent, derrière lequel se cacher pour démolir Taqadoumy.
L’option judiciaire devient caduque. On fait appel à des hackers venus du Maroc voisin qui sont déjà à pied d'œuvre : depuis quelques semaines, notre équipe technique enregistre une trentaine de tentatives de piratage par jour. Depuis l'arrestation de Hanevy, les attaques se multiplient, avec une telle virulence, que les techniciens se retrouvent, par moment, contraints de mettre le site hors connexion, afin de le protéger.
Pour mettre Hanevy en prison, il fallait trouver un plaignant, mais pas un proche du Général. Et c'est ainsi que l'honneur perdu du journaliste Ibrahima Mokhtar Sarr se mua, du jour au lendemain, en enjeu de sécurité nationale. Toute la République des militaires se mobilise afin d'assurer la recevabilité de sa requête en diffamation. La diligence du nouveau Procureur de la République, le pauvre Ciré Ly, n'a d'égale que l'obséquiosité dont il fait preuve, lorsqu'il appelle au téléphone son supérieur, le Procureur Général Siyid Ould Ghaïlani pour lui demander quoi faire de Hanevy ; ce dernier patiente, sourire au lèvres, dans les couloirs du Palais de "justice".
L'honneur de Sarr s’improvise tellement sensible pour la survie du système du Général qu'il mobilisera toute l'attention, en éloignant le ministère de la justice et la DGSN du véritable danger, l’insécurité. Résultat, Christopher Logest, un citoyen américain qui consacrait sa vie de chrétien à l'aide aux mauritaniens les plus démunis, tombe, froidement abattu, par deux balles dans le crâne, en plein jour, dans le centre-ville de Nouakchott. Malgré les promesses du Général Mohamed Ould Hadi, les meurtriers courent toujours, alors que Hanevy compte les dernières heures de la junte, dans la prison de Dar Naïm.
Entre temps, la police du Général lance un appel à plaintes et témoignages contre Hanevy Ould Dehah ; toutes les crapuleries d’hier et d’aujourd’hui dont la forfaiture alimenta une ligne dans Taqadoumy rappliquent, un peu à l’image des chiens de la curée, lorsque sonne l’hallali. Tandis que les protagonistes de la crise politique négocient Dakar II, des magistrats dociles s’activent à répertorier, authentifier, classer et mesurer la nuisance éventuelle des rapports que la maréchaussée du Général Ould El Hadi leur sert, à titre de charge contre Hanevy Ould Dehah.
Mais Hanevy sortira de là et il n’en sera nullement redevable à Mohamed Ould Abdel Aziz, encore moins à son entourage, mais malgré eux ; les derniers jours du Général au pouvoir (personne n'a jamais cru en sa démission), il les consomme, vite, comme tout infortuné, nanti d’hier, mange son pain blanc.
Général Ould Abdel Aziz, surtout gardez bien Hanevy en prison, surtout ne le libérez pas. On ne vous demande rien et on ne veut rien vous devoir.
Aux compatriotes et amis tenants des valeurs universelles - liberté d'expression, autonomie des juges, pluralisme - à tous ceux qui apprécient Taqadoumy et aiment Hanevy, l'équation tient d'une simplicité déconcertante :
Pour libérer Hanevy, il suffit d'en finir avec Ould Abdel Aziz !
Tant que le Général règne, Hanevy ne recouvrira jamais totalement son intégrité et toute la Mauritanie, tôt ou tard, se rencontrera derrière les barreaux.
Hacen Ould Lebatt
Source: Taqadoumy