«Sur ce, citoyens citoyennes, et suite à la réalisation des conditions préalables que j’ai posées en considération de l’intérêt de la Mauritanie dans le futur, je déclare renoncer volontairement à ma fonction de Président de la République». Pour arriver à cette conclusion, la Mauritanie a dû attendre...
De longs mois de menace d’embargo, de jeux politiques, de négociations interminables, d’interférences extérieures, de réalisation de ce qui avait fini par ressembler à des caprices, d’affrontements, d’excès… Puis enfin en cette soirée de vendredi 26 juin, le Président de la République, élu en mars 2007, déchu en août 2008, prend la parole devant les médiateurs et facilitateurs de la communauté internationale, devant les représentants des différentes factions impliquées dans la crise qui a secoué le pays pendant plus d’un an. Car, il faut le rappeler, la crise n’a pas commencé avec le coup d’Etat du 6 août 2008 qui n’a été que l’aboutissement logique et attendu d’un affrontement entre différents groupes autour du monopole du pouvoir.
Sidi Ould Cheikh Abdallahi n’est certainement pas heureux. Comment le pourrait-il ? Même s’il a réussi finalement à avoir toutes les garanties, il a fini par devoir interrompre «volontairement» le mandat pour lequel il a été élu en mars 2007. Après presqu’une année d’épreuves, parfois insupportables parce que touchant l’amour-propre, Sidi Ould Cheikh Abdallahi s’en remet à la sagesse qu’il incarne de part l’âge et l’origine.
C’est un Sidi plein de panache qui se dirige vers le podium. Il a déjà signé tous les décrets : celui de la démission de son Premier ministre Yahya Ould Ahmed Waghf, celui nommant son remplançant Moulaye Ould Mohamed Laghdaf. Le Président du Conseil Constitutionnel lui demande s’il n’avait rien à ajouter. Ould Cheikh Abdallahi avance vers le podium. Boydiel Ould Hoummoid, son ancien ministre secrétaire général de la présidence, va lui dire que la retransmission en direct de la cérémonie n’est pas faite par Radio Mauritanie comme prévu. Le Président élu revient aux côtés du Président Wade. Va-et-vient diplomatique. Le ministre sénégalais C. Tidjane Gadio et la coordinatrice des activités des Nations Unies courent dans tous les sens. Ould Tommy, omniprésent est sollicité. Il appelle, puis promet que tout sera arrangé. Vingt à trente minutes d’attente. Mohamed Ould Maouloud, président de l’UFP, capte enfin la radio sur son portable. Le discours commence. Plus tard une coupure, locale celle-là, causera un arrêt de la transmission donc de la prestation de Sidi Ould Cheikh Abdallahi. C’est le côté qui mêle drame et ridicule. Pas exactement du tragicomique, mais plutôt un enfantillage malheureux. Voulu ou pas (la seconde panne est le fait d’un fil détaché au niveau des installations du micro). Le côté pathétique et fort revient au discours de Ould Cheikh Abdallahi et de sa prestation.
Huit pages très bien écrites. En arabe comme en français. Essentiellement pour faire le bilan, in peu pour se justifier et un peu pour s’attaquer à ses détracteurs. «Aucun d’entre vous n’ignore la nature des obstacles qui m’ont empêché, après une courte période, d’exercer mes fonctions et qui ont par ailleurs plongé le pays dans une crise institutionnelle dont mon souhait le plus ardent est que tous, nous conjuguions nos efforts pour y mettre fin dans la paix et la concorde».
Tout est dit sans besoin de revenir sur les faits. D’ailleurs, il dit qu’il refuse de s’adonner «à des polémiques stériles», laissant l’Histoire juger. Reste qu’il ne peut que faire le bilan d’un peu plus d’une année d’exercice.
«Les quinze mois pendant lesquels j’ai exercé le mandat que vous m’avez confié, ont été l’occasion d’une intense activité». Suit sa lecture du bilan. «Printemps de liberté», «aucune immixtion de ma part ou de la part du pouvoir exécutif (n’est venue) entraver l’activité du pouvoir législatif ou du pouvoir judiciaire», en plus «le parlement a connu une activité sans précédent dans son histoire, totalisant plus de huit mois de session sur la période», «l’opposition démocratique (a eu) la pleine effectivité de son rôle (après institution de) la concertation sur les problèmes nationaux majeurs comme méthode constante dans nos rapports avec elle, comme d’ailleurs avec toutes les composantes de la scène politique et sociale». La Haute Cour de Justice, déclaration de fortune, retour des réfugiés, loi sur l’esclavage, promotion de la femme…
«Plus important que tout cela, nous avons créé les bases que nous avons voulues solides, nécessaires à une nouvelle et forte croissance économique dont les résultats attendus, devaient se traduire par une accélération de l’activité économique, l’augmentation de la production, le renforcement des infrastructures de base, le développement du secteur des activités de service, l’encouragement à l’investissement privé et la promotion de l’emploi en vue d’assurer des conditions de vie décentes à nos populations». Rappelant les promesses faites par le Groupe Consultatif de Paris (décembre 2007). Oubliant quelque peu que toutes ces réalisations mises en avant ont été faites sous le gouvernement de Zeine Ould Zeidane qui a été démis de façon inexpliquée. Reconnaissant quand même les conditions de vie difficiles, l’impossibilité parfois de répondre aux doléances des populations. Mais préférant occulter le refus d’agir face au retour du système qui a ruiné le pays, retour encouragé par les nominations malheureuses qui ne sont d’ailleurs pas le propre de cette courte période. Préférant se justifier par le fait que «malgré cela, je ne revendique l’infaillibilité, ni pour moi-même ni pour ceux qui ont travaillé avec moi, car toute œuvre humaine est sujette à l’imperfection».
Avant de puiser dans le patrimoine islamique et particulièrement dans l’histoire du Prophète Youssouf, symbole de l’endurance digne et résignée. «A ceux que les circonstances exceptionnelles vécues par le pays ont amené à porter atteinte à ma personne ou, à cause de ma personne, à d’autres autour de moi et ont fait de moi, de ceux qui sont avec moi ou autour de moi la cible d’accusations dénuées de toute preuve et de tout fondement, nous imputant jusqu’à l’excès des faits dont nous sommes totalement innocents, à ceux-là je m’adresse en reprenant les paroles du prophète Youssouf (PSL) : «Aucun reproche ne vous sera fait aujourd’hui. Qu’Allah vous pardonne. Il est le plus Clément des cléments». (s. 12, v. 92)».
Il a cependant appelé les Mauritaniens à faire de magnanimité : «J’en appelle à tous afin qu’ils contribuent dans la sincérité à préserver l’accord auquel ils sont parvenus. Je les invite à aller de l’avant pour bâtir une Mauritanie véritablement nouvelle, une Mauritanie d’où sont bannies l’exclusion et la marginalisation ; une Mauritanie édifiée sur les bases du sacrifice, de l’abnégation, du travail productif, de la compréhension et du respect de l’autre, loin de toute inimité et de tout déchirement, loin de toute usurpation ou spoliation, loin des insultes et des injures».
Sans remercier nommément le chef de file de l’opposition, Ould Cheikh Abdallahi a mis en exergue les rôles de Yahya Ould Ahmed Waghf, ancien PM, Ahmed Ould Sidi Baba, ancien président du Conseil économique et social et Messaoud Ould Boulkheir, président de l’Assemblée nationale. Seulement ont eu droit à être cités.
Certes le geste de Ould Cheikh Abdallahi est sans précédent. Il est certes de la catégorie des «événements historiques». Pour ce qu’il comporte d’incidence pour le pays. Le problème du pays est, depuis le 6 août 2008, le retour à l’ordre constitutionnel. Ce retour ne pouvait se faire sans la démission – le renoncement volontaire à son mandat – de Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Appelé par les Américains «point de départ constitutionnel», cet acte ouvre la voie à la normalisation de la situation en Mauritanie. Désormais tout est possible. Y compris des élections suivies et financées par la communauté internationale. Une fois encore la Mauritanie est au rendez-vous avec l’Histoire. Elle est aujourd’hui un modèle pour cette Afrique secouée par les coups d’Etat et les heurts autour de la constitutionnalité du pouvoir. La leçon ici, est qu’aucun changement anticonstitutionnel ne peut intervenir sans consentement du président. Cette fois-ci comme maître d’œuvre la communauté internationale. Sera-t-elle la bonne ? On l’espère.
Mohamed Fall Ould Oumère
Source: Taq