Hier Tidjane ANNE, Yéro Dorro DIALLO, Saïdou KANE et aujourd’hui Le Doyen et Docteur Mourtado DIOP. La nation Peulh n’en finit pas d’être endeuillée et amputée de ses illustres. Leur vie fut une leçon, un modèle du verbe haut et empreint de sens. Des hommes qui aimaient les mots, qui savaient ce que penser signifie et ce que parler veut dire. Ils sont frappés du destin, partis dans l’infini du sublime et mesurant à présent la Vérité dans toute sa plénitude divine. L’existence est aussi une privation. C’est l’enfance innocente, la jeunesse joyeuse, la sagesse d’un vécu qui sont interdites d’expression dans la manifestation de la mort. Les choses et les hommes sont comprimés par le temps. Telle est la loi du devenir, de l’être autre. Mais c’est au sein même de la finitude que se révèle la grandeur humaine, que se fige l’œuvre comme témoignage des puissances de l’esprit. Doyen Mourtado laisse nos mémoires emplies de souvenirs d’une voix, nos actions sevrées d’une source d’inspiration. Et le drame de la mort c’est le vide, le visage qu’on ne verra plus, le timbre d’une voix qu’on entendra plus, c’est le dialogue perdu.
C’était un homme profondément bon, accessible et affable. Il était jeune docteur quand, en 1978, je l’ai vu pour la première fois à Kaëdi, une des villes laboratoires de la conscience négro-mauritanienne. Il tenait une conférence sur le racisme au réfectoire du lycée. L’affluence fut très forte. Hélas la conférence fut interrompue par le directeur piqué au vif par une réponse aux accents étranges mais limpide d’interprétation : « n’est pas raciste celui qui affirme être raciste mais est raciste celui qui déclare ne pas être raciste ». J’avais senti de la hauteur chez cet agitateur d’idées et la formule m’avait marqué au point que je m’en rappelle encore. En somme derrière les postures, les dénégations, se livrent des conduites, se lisent des représentations et s’assignent des choses. Les principes s’évaluent dans leur écho pratique. Certaines idées n’étaient donc pas bienvenues : égalité de tout homme avec un autre, la même justice pour tous. Entre amertume et besoin de révolte, entre indignation et souci de comprendre, nous perçûmes ce qui pouvait diviser les Mauritaniens : la Question nationale.
Depuis je n’ai cessé de le croiser, à Dakar, à l’Ecole Normale Supérieure où présenté par Yéro Dorro DIALLO il tenait une conférence cette fois-ci sur l’unité du monde peulh. A Nouakchott je l’ai suivi dans certaines de ses tournées oratoires dans les quartiers de 5è et de 6è puis travaillé avec lui plus particulièrement dans le noyau directeur de l’Alliance pour une Mauritanie nouvelle. Je l’entends encore, lors d’une réunion, confiait ses convictions, énoncer ce qui portait essence à ses yeux : l’Islam et les langues nationales. Seul un programme qui prend en compte ses deux questions pouvait être acceptable. En affirmant ce qui tenait lieu de principes, ce qui donnait valeur à un projet il portait le jugement sur l’essentiel. Parolier de la cité de droit, de la chose publique et politique, le Doyen parlait d’une certaine façon de lui-même mais dans le mode du refus du « je ». Il se révélait dans la phrase, dans le discours. Louis Amstrong qui, de sa Louisiane natale encore profondément marquée par la ségrégation raciale, propulsa le Jazz sur la scène mondiale, reconnaissait : « les thèmes que je joue reflètent un peu ma vie. Il faut penser et ressentir quelque chose quand on lit les notes ». Le dire est aussi révélation de soi. Mourtado ne chantait pas les louanges des grands mais il savait tant conter l’odyné, la souffrance des gueux, les tribulations des laissés-pour- compte : « gawlo nolaabé » se définissait-il, le narrateur comme sage et figure du juste. « Le conteur est la figure sous laquelle le juste se rencontre » notait Walter Benjamin. La parole est acte, elle murmure l’avant scène et la tragédie des hommes ; elle se module dans l’être. Celle du Doyen Mourtado nous incitait à penser notre identité, comme celle de Saïdou KANE, à nous enraciner dans le langage pour dire qui nous sommes.
Ils sont partis pour l’éternel, se retrouvant dans le règne de l’intemporel. De leur vivant ils étaient avec Ibrahima Moctar SARR des amis féconds de leurs doublures triangulaires dans une articulation créatrice, dans l’art de nommer.
Mourtado nous laisse aujourd’hui une œuvre toute contenue dans le récit. Il l’a jalonnée de conseils et d’interprétation du monde. Il vécut comme un guide dont la poésie nous invitait à réfléchir et comprendre le sens de la vie. La dernière image qu’il nous lègue est celle d’un homme marchant, dans le dénuement et la solitude, dans le désert comme pour nous dire que le savoir est une quête. Il était tel Hammadi, du récit initiatique Kaïdara d’Amadou Hampaté BÂ, décidé en dépit de l’adversité du cosmos, à « connaître la signification des symboles et des énigmes » du monde inconnu.
Q’Allah l’accueille en son Saint Paradis.
BÂ Kassoum Sidiki
C’était un homme profondément bon, accessible et affable. Il était jeune docteur quand, en 1978, je l’ai vu pour la première fois à Kaëdi, une des villes laboratoires de la conscience négro-mauritanienne. Il tenait une conférence sur le racisme au réfectoire du lycée. L’affluence fut très forte. Hélas la conférence fut interrompue par le directeur piqué au vif par une réponse aux accents étranges mais limpide d’interprétation : « n’est pas raciste celui qui affirme être raciste mais est raciste celui qui déclare ne pas être raciste ». J’avais senti de la hauteur chez cet agitateur d’idées et la formule m’avait marqué au point que je m’en rappelle encore. En somme derrière les postures, les dénégations, se livrent des conduites, se lisent des représentations et s’assignent des choses. Les principes s’évaluent dans leur écho pratique. Certaines idées n’étaient donc pas bienvenues : égalité de tout homme avec un autre, la même justice pour tous. Entre amertume et besoin de révolte, entre indignation et souci de comprendre, nous perçûmes ce qui pouvait diviser les Mauritaniens : la Question nationale.
Depuis je n’ai cessé de le croiser, à Dakar, à l’Ecole Normale Supérieure où présenté par Yéro Dorro DIALLO il tenait une conférence cette fois-ci sur l’unité du monde peulh. A Nouakchott je l’ai suivi dans certaines de ses tournées oratoires dans les quartiers de 5è et de 6è puis travaillé avec lui plus particulièrement dans le noyau directeur de l’Alliance pour une Mauritanie nouvelle. Je l’entends encore, lors d’une réunion, confiait ses convictions, énoncer ce qui portait essence à ses yeux : l’Islam et les langues nationales. Seul un programme qui prend en compte ses deux questions pouvait être acceptable. En affirmant ce qui tenait lieu de principes, ce qui donnait valeur à un projet il portait le jugement sur l’essentiel. Parolier de la cité de droit, de la chose publique et politique, le Doyen parlait d’une certaine façon de lui-même mais dans le mode du refus du « je ». Il se révélait dans la phrase, dans le discours. Louis Amstrong qui, de sa Louisiane natale encore profondément marquée par la ségrégation raciale, propulsa le Jazz sur la scène mondiale, reconnaissait : « les thèmes que je joue reflètent un peu ma vie. Il faut penser et ressentir quelque chose quand on lit les notes ». Le dire est aussi révélation de soi. Mourtado ne chantait pas les louanges des grands mais il savait tant conter l’odyné, la souffrance des gueux, les tribulations des laissés-pour- compte : « gawlo nolaabé » se définissait-il, le narrateur comme sage et figure du juste. « Le conteur est la figure sous laquelle le juste se rencontre » notait Walter Benjamin. La parole est acte, elle murmure l’avant scène et la tragédie des hommes ; elle se module dans l’être. Celle du Doyen Mourtado nous incitait à penser notre identité, comme celle de Saïdou KANE, à nous enraciner dans le langage pour dire qui nous sommes.
Ils sont partis pour l’éternel, se retrouvant dans le règne de l’intemporel. De leur vivant ils étaient avec Ibrahima Moctar SARR des amis féconds de leurs doublures triangulaires dans une articulation créatrice, dans l’art de nommer.
Mourtado nous laisse aujourd’hui une œuvre toute contenue dans le récit. Il l’a jalonnée de conseils et d’interprétation du monde. Il vécut comme un guide dont la poésie nous invitait à réfléchir et comprendre le sens de la vie. La dernière image qu’il nous lègue est celle d’un homme marchant, dans le dénuement et la solitude, dans le désert comme pour nous dire que le savoir est une quête. Il était tel Hammadi, du récit initiatique Kaïdara d’Amadou Hampaté BÂ, décidé en dépit de l’adversité du cosmos, à « connaître la signification des symboles et des énigmes » du monde inconnu.
Q’Allah l’accueille en son Saint Paradis.
BÂ Kassoum Sidiki