La traque des islamistes dans le Nord-Mali libéré - Video




Dans la partie du Nord-Mali reconquise par les armées française et malienne, une chasse aux touareg a débuté, des militaires et milices armées traquant les "collabos", que l’on soupçonne d’avoir aidé les groupes islamistes.

Depuis plusieurs semaines ont surgi au Mali des ennemis d’un genre nouveau. Il y a d’abord "les infiltrés", comprendre ces islamistes qui dans leur déroute ou par stratégie tentent de pénétrer en zone sud loyaliste. Puis viennent les "collabos", ceux que l’on soupçonne au pire d’avoir aidé les groupes islamistes dans leur conquête du Nord du pays, au mieux de partager leur volonté d’imposer le djihad dans le pays.

Abouakim Agh Mohamed était accusé d’appartenir à cette deuxième catégorie. Ses origines touareg ont été la meilleure pièce à conviction fournies contre lui. Abouakim, 38 ans, marabout de son état, a été abattu le vendredi 19 janvier à quelques mètres de son domicile, une maison en banco dans le quartier tranquille de Filavere, à Siribala, situé à 300 km au nord de Bamako.


Abattu aussi, son ami, l’éleveur Semba Dicko, venu lui rendre visite. Selon plusieurs voisins, deux pick-ups de l’armée seraient arrivés en début d’après-midi devant son domicile. "Les petits ont crié : les militaires sont là, les militaires sont là! J’ai accouru, mais les soldats m’ont dit de me tenir à l’écart", explique Ali Ag Noh, le cousin du marabout, le visage enveloppé dans un chech bleu roi, et désormais dernier tamasheq (touareg) du village.

"Les gens ont peur de parler"

La suite est un peu plus confuse. Cependant, tous les témoignages affirment que les deux hommes ont été liquidés : Abouakim à côté de sa maison, dans "la rue", cette piste de latérite bordée par des manguiers. Dicko, dans la cour d’une maison voisine. "Ils l’ont tué à bout portant", affirme un jeune voisin qui dans le même temps jure qu’il n’a rien vu. "Les gens ont peur de parler. Ils pensent que ça va leur créer des problèmes", explique le cousin. C’est ce dernier qui, quelques heures après les exécutions, a enterré les deux corps dans la cour de la maison d’Abouakim. Leur tombe : un petit monticule de terre, contigu à un mur d’enceinte de la cour, délimité par deux morceaux de ciment.

Lorsque l’on demande à Akim pourquoi son cousin et son ami ont été tués, il explique que les certaines personnes dans le village l’accusaient d’être favorable aux islamistes et qu’ils l’ont "balancé" aux militaires, qui n’attendaient que ça. "Mais en fait, c’est juste parce qu’il était touareg." D’ailleurs le cinquantenaire pense que, peut-être prochainement, son tour viendra : "Mais que voulez vous que je fasse, je n’ai nulle part où aller. Alors quitte à mourir, autant mourir ici."

Une méconnaissance de la culture touareg

Il ne fait pas bon être "peau rouge", le surnom péjoratif donné aux touareg, en ce moment au Mali. Ni même Bellas, groupements considérés ici comme les "esclaves" des Touareg, ou Peul. Dans les consciences collectives, depuis l’offensive au Nord des indépendantistes touareg du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) allié aux groupes djihadistes, c’est toute la communauté touareg qui porte la responsabilité de la crise dans laquelle est plongée le pays.

"Il y a surtout une vrai méconnaissance des habitants du Sud du Mali du Nord, explique Mohamed Ag Ossad, directeur du centre culturel Toumast, destiné à promouvoir la culture tamasheq. Peu de Maliens savent qu’il existe plus de 600 fractions (familles) dans notre communauté. Or, parmi elles, et parmi une population de 600.000 personnes, beaucoup ne soutiennent pas l’indépendance de l’Azawad et encore moins les islamistes. Mais c’est vrai, en ce moment, il y a un vrai risque d’amalgame."

L’histoire Abouakim montre qu’on a franchi le seul cap du risque. Cette semaine, à Mopti, ville de l’est qui fait tampon entre sud et nord malien, de nombreux médias ont également fait état de plusieurs dizaines de cadavres retrouvés. Selon de nombreux témoignages, ces "collabos" présumés auraient été exécutés par l’armée malienne, le 10 et le 11 janvier dernier, lorsque les islamistes s’emparaient de la ville de Konna, toute proche.

Parmi eux, beaucoup de "peaux rouges" ou de peuls. Une partie des cadavres aurait été jetée dans des puits, d’autres enterrés à la va-vite. La hiérarchie militaire malienne a expliqué que les coupables seraient recherchés et punis. A Paris, on est évidemment embarrassée de ces graves dérapages.

De nouvelles exécutions sont à craindre

Pourtant, les bavures étaient prévisibles. Dans la région de Mopti, l’année dernière, ont été créées des milices, dont certaines armées, pour partir libérer le Nord. Elles ont surtout travaillé à débusquer l’ennemi dans leur zone et à établir des listes de personnes suspectes. "Le problème, c’est que les militaires traquent les islamistes à partir de ces listes", s’alarme Corinne Dufka de Human Rights Watch.

Selon un diplomate européen, de nouvelles exécutions sont à craindre dans les mois qui viennent. "La reconquête du Nord va être l’occasion pour beaucoup de régler de vieux comptes ethniques", explique-t-il. Sidi, un habitant Songhaï de Gao qui fait des allers-retours avec Bamako confirme. "Chez moi, ça va être un vrai bain de sang, prédit-il.

Les Songhaïs en veulent énormément aux touareg et à tous ceux qui ont fait alliance avec les islamistes car ils en ont profité pour voler leur bétail ou piller leurs maisons." Il cite aussi l’exemple de deux villages wahabites situés près de la grande ville du nord malien, qui ont soutenu les djihadistes et contre lesquels "il y aura certainement des représailles".

Mohamed, lui, n’a pas attendu que les islamistes perdent la main pour fuir Gao. Le jeune homme de 22 ans, s’est réfugié à Ségou, la principale ville du centre du pays, il y a deux mois. "Quand on a commencé d’intervention étrangère, la rumeur a couru qu’il y avait une liste noire pour tous ceux qui avaient travaillé avec les rebelles.

J’ai préféré m’en aller." Le jeune teinturier, désoeuvré après l’arrivée des islamistes dans la ville, était devenu le chauffeur d’un commandant du Mujao (Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest), le groupe qui contrôle Gao. "Pas pour l’argent", assure-t-il mais parce qu’"avec leur mines serrées, leur accoutrement bizarre et surtout leurs armes impressionnantes, les islamistes me faisaient peur".

Aujourd’hui, il est contraint de vivre dans la semi-clandestinité, sans travail, avec "deux oncles militaires" comme seuls protecteurs. "Je n’ai pas peur, affirme-t-il. Mais si les gens d’ici apprennent ce que j’ai fait, ils ne me pardonneront pas."

Antoine Malo, envoyé spécial à Siribala (Mali)




Source : Le Journal du Dimanche (France)


Samedi 2 Février 2013
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