Depuis le 18 juillet 2009, le général à la retraite, Mohamed Ould Abdel Aziz, est le deuxième président «démocratiquement» élu de la République Islamique de Mauritanie. A 53 ans, l’homme, réputé démesurément ambitieux, réalise, enfin, après plusieurs coups d’Etat et actes d’insubordination, un rêve qui le taraudait, au moins depuis le 3 août 2005, lorsqu’il réussit à déboulonner, sans coup férir, le régime de Taya qui avait tenu, plus de vingt ans durant, la dragée haute à ses partisans et détracteurs confondus. La victoire, au premier tour, d’Ould Abdel Aziz a constitué un véritable coup de massue asséné à ses principaux adversaires, comme le président du Rassemblement des Forces Démocratiques (RFD), Ahmed Ould Daddah, ou le candidat du Front National Pour la Défense de la Démocratie (FNDD), Messaoud Ould Boulkheir. Surprise générale. Seul le vainqueur haut-la-main ne fut, apparemment pas, étonné de sa victoire.
Imperturbablement, il ne cessait, d’ailleurs, de claironner, à ceux qui voulaient l’entendre, que celle-ci n’était qu’une question de jours. Pourtant, à voir l’ampleur des rassemblements populaires que certains de ses adversaires les plus sérieux réussirent à organiser, à travers le pays, il va sans dire que «l’exploit» d’Ould Abdel Aziz n’était, certes pas, évident, la veille même du scrutin. Quelles sont, alors, les véritables raisons d’une telle déroute ou d’une telle consécration – c’est selon? Les discours du général, truffés de promesses et de compassion, adressés aux couches les plus vulnérables et à la «Mauritanie des profondeurs», assortis de quelques actions populistes, auront-ils fait mouche ? Sinon, les slogans de ses adversaires, comme «le changement dans la sérénité» et autre «président qui rassemble», auraient-ils été insuffisamment vulgarisés?
Méthode…
Depuis que les militaires ont renversé le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, une vaste campagne, dans la perspective d’une élection présidentielle, a commencé. Tous les médias publics, nationaux et internationaux, ont été mobilisés, pour des opérations de dénigrement, systématique, de tout ce que les anciens systèmes ont produit. La gestion, les hommes, les politiques et les stratégies. Tout a été, systématiquement, remis en cause. Des missions, conduites par des membres du Haut Conseil d’Etat et composées de ministres et de hauts fonctionnaires, ont sillonné la Mauritanie, de fond en comble, pour «expliquer», aux populations, les raisons de l’action «salvatrice» du 6 Août. Les ministères, les secrétariats généraux, les ambassades, les consulats et autres hautes charges de l’Etat ont été «donnés», selon l’allégeance aux idéaux et principes du mouvement de la rectification. Les récipiendaires organisaient, régulièrement, des descentes dans leur terroir, pour, à leur tour, enrôler les leurs dans le sillage des militaires au pouvoir. Par deux fois, le chef de l’Etat, Ould Abdel Aziz, alors simple président de junte, a entrepris de visiter toutes les wilayas du pays. L’occasion, pour lui, de battre, bien avant l’heure, campagne électorale, au cours de laquelle il n’a guère tressé de lauriers à ses prédécesseurs, les accusant d’être à l’origine de la misère des populations auxquelles il promettait, en revanche, monts et merveilles. Ces messages, à peine voilés, étaient relayés par les walis, hakems et chefs d’arrondissements qui ont, eux aussi, entrepris des tournées dans les coins et recoins de leur région, afin d’ancrer, davantage, l’idée, sacrée, d’être, toujours, du côté du Makhzen.
Moyens de l’Etat
Même pendant la dernière campagne du 18 juillet dernier, les moyens de l’Etat ont été, abusivement, utilisés au profit du candidat Mohamed Ould Abdel Aziz. Curieusement, les autres candidats n’en ont fait que timidement cas. Or, le candidat de la junte se déplaçait en avion militaire. Ses gardes corps appartenaient au BASEP. Les ministres en fonction n’hésitaient pas à déserter leur bureau, avec voiture(s) et argent publics, pour aller soutenir leur théoriquement ex-chef, dans leur wilaya respective. Directeurs centraux et hauts fonctionnaires de toutes catégories ont fait de même. Ils étaient, soit membres du directoire de campagne, soit cadres d’appui, dans les différentes coordinations. Certaines directions d’états-majors de corps constitués se sont transformées en quartiers généraux de campagne, où des officiers supérieurs, membres de l’ex HCE, devenu Conseil de Défense, recrutaient notables tribaux, personnalités influentes et débauchaient, à coup de millions, tout politicard véreux. A Nouakchott, le foncier, pourtant en suspens, a été mis, largement, à contribution, grâce aux largesses des autorités administratives de la capitale, afin de vaincre bien de réticences. Le Commissariat à la Sécurité Alimentaire a attendu l’ouverture officielle de la campagne, pour distribuer, aux adwabas et villages les plus reclus, des quantités, considérables, de blé et de riz.
(Dés)accords de Dakar
Avec le recul, et quoiqu’on dise, en bien, des accords de Dakar qui ont permis de sortir d’une crise étouffante, on se rend compte, de plus en plus, que leurs termes contenaient d’énormes couleuvres que la Communauté internationale a tenu à faire avaler, précipitamment, à certains protagonistes. Finalement, comme dirait plus d’un, ils ont, juste, servi à légitimer un coup d’Etat et à créer un précédent dont on ne connaît pas les limites. Le comité de suivi de la bonne application de ces accords peut-il, aujourd’hui, démontrer que l’esprit et la lettre de ces accords ont été scrupuleusement suivis par les trois parties signataires? Ce serait un véritable tour de passe-passe. Tout comme rien ne garantit que les dispositions post-élections seront, elles aussi, respectées. Même le temps accordé pour la mise en œuvre de ces accords n’était pas, objectivement, suffisant. Comment eût-il été matériellement possible d’organiser, dans de bonnes conditions – bonnes, c'est-à-dire acceptables dans ces pays si prompts à les imposer chez nous – des élections, en moins de deux semaines? Formation d’un gouvernement d’union nationale, d’une commission électorale indépendante, organisation d’une campagne électorale et d’une élection transparente. En fait, de véritables improvisations, de vulgaires postiches. Une grande précipitation. Attitudes qui en disent long sur la volonté de la Communauté internationale d’évacuer un problème mauritanien qui commence à l’importuner. Allez hop, le bébé, avec l’eau du bain! Et nos opposants, comment ont-ils pu accepter de jouer le jeu, dans des conditions aussi défavorables ? Entretenir l’assurance de remporter les joutes? Quelle naïveté! Mais à quelque chose, malheur est bon. On en reparlera sous peu, sans doute…
Fraude à ciel ouvert
Même si, comme le prétendent les observateurs, les cas de fraude, signalés, ici et là, n’ont eu aucune incidence sur le résultat, il faut, quand même, déplorer des cas flagrants, qui auraient dû, au moins, faire l’objet d’observations de la part de nos fameux vigiles internationaux. Mais leur façon de démentir les allégations de candidats déroutés laisse perplexe, sur l’utilité de les mobiliser pour témoigner des événements électoraux. Surtout que, pour le cas de la Mauritanie, ces observateurs n’ont visité que les bureaux de la capitale et quelques autres des villes avoisinantes. Or, des réservoirs électoraux notablement importants – plus de 40% de l’électorat national – se trouvent dans les tréfonds du pays, dans les bourgades et villages, situés à plusieurs centaines de kilomètres de la capitale. Aujourd’hui, il est quasiment établi que le fichier électoral a été manipulé. Beaucoup d’électeurs de l’opposition qui avaient voté, en 2007, n’ont pas retrouvé leurs noms, sur les listes électorales. Tout comme 80% de ceux qui se sont inscrits, après le 6 juin 2009, ont été «omis» de ces listes. Les votes dirigés, l’achat de conscience, l’implication publique des présidents de bureau, la non-conformité des noms et autres petites anomalies méritaient, quand même, chers observateurs, d’être signalés, nonobstant le confort des hôtels, les frais de mission et autres per diem consistants, capables d’aveugler l’arbitre le plus vigilant.
Mais, aujourd’hui que le zrig est tiré, il faut le boire. Comme le coup d’Etat du 6 août, l’élection, à la présidence de la République, de Mohamed Ould Abdel Aziz est un fait accompli. Qu’elle soit transparente ou frauduleuse, les organes chargés de la valider (Ministère de l’Intérieur et Conseil Constitutionnel) l’ont, précipitamment, avalisée. Elle devient, ainsi, constitutionnellement et juridiquement, établie. Le président de la junte devient, ainsi, par voie de fait, le président de tous les Mauritaniens. Il a promis le Paradis, à tous, détracteurs et partisans. Préparons-nous, donc, à y pénétrer rapidement. Surtout que ses locataires, parole du Prophète, oublient, en y entrant, tous les sévices qu’ils ont connus, ici-bas. Et Allah sait que les Mauritaniens en ont connu. Quant aux autres candidats malheureux, qu’ils méditent cette sentence de Jean de la Fontaine, dans sa célèbre fable, «Le lièvre et la tortue»: rien ne sert de courir, il faut partir à point.
Sneiba Elkory
Source : Calame
Imperturbablement, il ne cessait, d’ailleurs, de claironner, à ceux qui voulaient l’entendre, que celle-ci n’était qu’une question de jours. Pourtant, à voir l’ampleur des rassemblements populaires que certains de ses adversaires les plus sérieux réussirent à organiser, à travers le pays, il va sans dire que «l’exploit» d’Ould Abdel Aziz n’était, certes pas, évident, la veille même du scrutin. Quelles sont, alors, les véritables raisons d’une telle déroute ou d’une telle consécration – c’est selon? Les discours du général, truffés de promesses et de compassion, adressés aux couches les plus vulnérables et à la «Mauritanie des profondeurs», assortis de quelques actions populistes, auront-ils fait mouche ? Sinon, les slogans de ses adversaires, comme «le changement dans la sérénité» et autre «président qui rassemble», auraient-ils été insuffisamment vulgarisés?
Méthode…
Depuis que les militaires ont renversé le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, une vaste campagne, dans la perspective d’une élection présidentielle, a commencé. Tous les médias publics, nationaux et internationaux, ont été mobilisés, pour des opérations de dénigrement, systématique, de tout ce que les anciens systèmes ont produit. La gestion, les hommes, les politiques et les stratégies. Tout a été, systématiquement, remis en cause. Des missions, conduites par des membres du Haut Conseil d’Etat et composées de ministres et de hauts fonctionnaires, ont sillonné la Mauritanie, de fond en comble, pour «expliquer», aux populations, les raisons de l’action «salvatrice» du 6 Août. Les ministères, les secrétariats généraux, les ambassades, les consulats et autres hautes charges de l’Etat ont été «donnés», selon l’allégeance aux idéaux et principes du mouvement de la rectification. Les récipiendaires organisaient, régulièrement, des descentes dans leur terroir, pour, à leur tour, enrôler les leurs dans le sillage des militaires au pouvoir. Par deux fois, le chef de l’Etat, Ould Abdel Aziz, alors simple président de junte, a entrepris de visiter toutes les wilayas du pays. L’occasion, pour lui, de battre, bien avant l’heure, campagne électorale, au cours de laquelle il n’a guère tressé de lauriers à ses prédécesseurs, les accusant d’être à l’origine de la misère des populations auxquelles il promettait, en revanche, monts et merveilles. Ces messages, à peine voilés, étaient relayés par les walis, hakems et chefs d’arrondissements qui ont, eux aussi, entrepris des tournées dans les coins et recoins de leur région, afin d’ancrer, davantage, l’idée, sacrée, d’être, toujours, du côté du Makhzen.
Moyens de l’Etat
Même pendant la dernière campagne du 18 juillet dernier, les moyens de l’Etat ont été, abusivement, utilisés au profit du candidat Mohamed Ould Abdel Aziz. Curieusement, les autres candidats n’en ont fait que timidement cas. Or, le candidat de la junte se déplaçait en avion militaire. Ses gardes corps appartenaient au BASEP. Les ministres en fonction n’hésitaient pas à déserter leur bureau, avec voiture(s) et argent publics, pour aller soutenir leur théoriquement ex-chef, dans leur wilaya respective. Directeurs centraux et hauts fonctionnaires de toutes catégories ont fait de même. Ils étaient, soit membres du directoire de campagne, soit cadres d’appui, dans les différentes coordinations. Certaines directions d’états-majors de corps constitués se sont transformées en quartiers généraux de campagne, où des officiers supérieurs, membres de l’ex HCE, devenu Conseil de Défense, recrutaient notables tribaux, personnalités influentes et débauchaient, à coup de millions, tout politicard véreux. A Nouakchott, le foncier, pourtant en suspens, a été mis, largement, à contribution, grâce aux largesses des autorités administratives de la capitale, afin de vaincre bien de réticences. Le Commissariat à la Sécurité Alimentaire a attendu l’ouverture officielle de la campagne, pour distribuer, aux adwabas et villages les plus reclus, des quantités, considérables, de blé et de riz.
(Dés)accords de Dakar
Avec le recul, et quoiqu’on dise, en bien, des accords de Dakar qui ont permis de sortir d’une crise étouffante, on se rend compte, de plus en plus, que leurs termes contenaient d’énormes couleuvres que la Communauté internationale a tenu à faire avaler, précipitamment, à certains protagonistes. Finalement, comme dirait plus d’un, ils ont, juste, servi à légitimer un coup d’Etat et à créer un précédent dont on ne connaît pas les limites. Le comité de suivi de la bonne application de ces accords peut-il, aujourd’hui, démontrer que l’esprit et la lettre de ces accords ont été scrupuleusement suivis par les trois parties signataires? Ce serait un véritable tour de passe-passe. Tout comme rien ne garantit que les dispositions post-élections seront, elles aussi, respectées. Même le temps accordé pour la mise en œuvre de ces accords n’était pas, objectivement, suffisant. Comment eût-il été matériellement possible d’organiser, dans de bonnes conditions – bonnes, c'est-à-dire acceptables dans ces pays si prompts à les imposer chez nous – des élections, en moins de deux semaines? Formation d’un gouvernement d’union nationale, d’une commission électorale indépendante, organisation d’une campagne électorale et d’une élection transparente. En fait, de véritables improvisations, de vulgaires postiches. Une grande précipitation. Attitudes qui en disent long sur la volonté de la Communauté internationale d’évacuer un problème mauritanien qui commence à l’importuner. Allez hop, le bébé, avec l’eau du bain! Et nos opposants, comment ont-ils pu accepter de jouer le jeu, dans des conditions aussi défavorables ? Entretenir l’assurance de remporter les joutes? Quelle naïveté! Mais à quelque chose, malheur est bon. On en reparlera sous peu, sans doute…
Fraude à ciel ouvert
Même si, comme le prétendent les observateurs, les cas de fraude, signalés, ici et là, n’ont eu aucune incidence sur le résultat, il faut, quand même, déplorer des cas flagrants, qui auraient dû, au moins, faire l’objet d’observations de la part de nos fameux vigiles internationaux. Mais leur façon de démentir les allégations de candidats déroutés laisse perplexe, sur l’utilité de les mobiliser pour témoigner des événements électoraux. Surtout que, pour le cas de la Mauritanie, ces observateurs n’ont visité que les bureaux de la capitale et quelques autres des villes avoisinantes. Or, des réservoirs électoraux notablement importants – plus de 40% de l’électorat national – se trouvent dans les tréfonds du pays, dans les bourgades et villages, situés à plusieurs centaines de kilomètres de la capitale. Aujourd’hui, il est quasiment établi que le fichier électoral a été manipulé. Beaucoup d’électeurs de l’opposition qui avaient voté, en 2007, n’ont pas retrouvé leurs noms, sur les listes électorales. Tout comme 80% de ceux qui se sont inscrits, après le 6 juin 2009, ont été «omis» de ces listes. Les votes dirigés, l’achat de conscience, l’implication publique des présidents de bureau, la non-conformité des noms et autres petites anomalies méritaient, quand même, chers observateurs, d’être signalés, nonobstant le confort des hôtels, les frais de mission et autres per diem consistants, capables d’aveugler l’arbitre le plus vigilant.
Mais, aujourd’hui que le zrig est tiré, il faut le boire. Comme le coup d’Etat du 6 août, l’élection, à la présidence de la République, de Mohamed Ould Abdel Aziz est un fait accompli. Qu’elle soit transparente ou frauduleuse, les organes chargés de la valider (Ministère de l’Intérieur et Conseil Constitutionnel) l’ont, précipitamment, avalisée. Elle devient, ainsi, constitutionnellement et juridiquement, établie. Le président de la junte devient, ainsi, par voie de fait, le président de tous les Mauritaniens. Il a promis le Paradis, à tous, détracteurs et partisans. Préparons-nous, donc, à y pénétrer rapidement. Surtout que ses locataires, parole du Prophète, oublient, en y entrant, tous les sévices qu’ils ont connus, ici-bas. Et Allah sait que les Mauritaniens en ont connu. Quant aux autres candidats malheureux, qu’ils méditent cette sentence de Jean de la Fontaine, dans sa célèbre fable, «Le lièvre et la tortue»: rien ne sert de courir, il faut partir à point.
Sneiba Elkory
Source : Calame