En Mauritanie, il est très facile de s’ériger en politicien, en personne-ressource, en analyste politique, en journaliste, en technicien de ceci ou de cela, en pharmacien, en médecin, même… Nous sommes, nous Mauritaniens, des surdoués. Plus doués que les chinois et les japonais.
Cette capacité de mutation proviendrait-il des «gènes de nomadisme» que certains d’entre nous traînent et qu’ils ont fini par transmettre à tous les autres Mauritaniens? Nous ne nous hasarderons point à donner une réponse qui serait, elle aussi, trop «nomade», mais nous nous contenterons d’esquisser quelques faits qui permettent de juger de la manière dont les cadres de la Vallée font de la «politique», ainsi que l’on dit, par là-bas. A chacun ses réflexions nomades.Voilà deux ans que nous parlons politique, vivons de la politique, mais est-ce que nous, Mauritaniens, nous y comprenons grand-chose? En tout cas nos faits, gestes et autres comportements tendent à prouver le contraire. En effet, après plus de vingt ans de pensée unique, de dictature militaire, le sommet de la Baule nous a conduits à l’adoption et au greffage d’une démocratie, sur un continent meurtri par les plans d’ajustement structurels, une autre invention de l’Occident pour nous occuper, davantage, à tout, sauf à penser notre propre développement. Conférences nationales, par-ci, élections truquées par-là.
Voilà ce que nous avons hérité de la Baule. Opportunisme et clientélisme.En Mauritanie, Ould Taya refuse une conférence nationale, qui devait conduire à un véritable déballage, parce qu’elle intervenait au lendemain des événements tragiques de 89/91 et proposait des élections «pluralistes», qu’il a remportées, sans coup férir. Son régime connut alors sa première friction, parce qu’Ould Daddah, qui venait de débarquer d’une autre planète, a réussi à faire croire, aux Mauritaniens, qu’une autre voie était possible. Le pays entre, alors, dans la «polotique», avec la naissance du PRDR, une véritable machine d’embrigadement. Un cadre où sévit clientélisme et opportunisme.Ceux qui avaient réussi ou réussirent à s’introduire dans le système furent, alors, récompensés. Qui par des postes, qui par des licences de pêche, qui par des terrains, qui par des enveloppes mirobolantes, etc. Une véritable ruée vers le PRDS naissant. Les cadres de la vallée, restés dans l’opposition ou en marge de la politique, entamèrent leur traversée du désert, tandis que les populations du fleuve continuaient à souffrir des conséquences de 89, mais, aussi et surtout, du comportement d’une administration rompue à toutes les magouilles : expropriation des terres, arrestations, intimidations, humiliations, refus de livrer des papiers d’état-civil, rétention des projets de développement etc. Cela dura quelques années. Mais, vers la fin des années 90, certains cadres négro-mauritaniens commencent à s’impatienter, à se décourager, même, et, parce que, du côté de l’opposition au pouvoir, ils ne voient rien venir, ils décident de faire «basculer la vallée», dans l’escarcelle du PRDS. Promotions et promesses pleuvent, mais au profit, exclusif, de ce qu’on a appelé les «barons», les «zoulous» et les «venant de France-VF» du PRDS.Ces hommes et ces femmes, malgré leur position dans le système, étaient incapables de décrocher, pour un moindre applaudisseur, un poste de planton, une carte d’identité, une bourse à l’étranger, un forage ou une piste de désenclavement. Ne parlons pas de recrutement dans l’armée ou la police. Parfois, même, si vous leur exposiez certains problèmes, ils vous évitaient; plus grave, vous accusaient de les jalouser, de vouloir leur perte. Certains d’entre eux n’hésitèrent, même pas, à faire obstacle à la promotion de certains de leurs cousins. Les habitants de Bababé, de Wothie et de Boghé en savent quelque chose. Pourtant, ces hommes «polotiques», en sollicitant les voix des populations, lors des différents scrutins, arguaient que c’est en étant avec le parti au pouvoir qu’on peut «régler» les problèmes des populations. Personne, parmi ces barons négros-mauritaniens, ne peut se targuer d’avoir planché sur au moins un des problèmes que vit la population de la vallée, à travers une loi, une ordonnance. Certains poussent même leur incapacité jusqu’à faire intervenir tel petit cadre ou tel collègue élu pour «régler les détails». Un ministre négro-mauritanien, à qui l’on avait demandé de régler un problème relevant de ses compétences, laissa entendre, à l’intéressé, qu’il fallait, plutôt, contacter tel sénateur. Un autre, très ancien, celui-là, sollicité pour une action similaire, pria son visiteur de voir le cas avec un de ses chefs de service, parce que «ce petit maure, là, est plus efficace»…Pour assouvir leur ambition, nombre de nos cadres «poloticiens» – c’est comme ça, chez nous, tout cadre est, de facto, un politicien – ont entretenu, jusqu’ici, à travers leur(s) tendance(s) politique(s) – elles sont, hélas, parfois plurielles – des divisions et conflits, au sein des populations, jusque dans les familles. Tout celui qui ne pense pas, comme eux, n’entre pas dans leur cour; est contre eux. Et, comme ces populations n’ont rien compris à la politique – normal, me direz-vous, puisque leurs élites n’en ont, eux-mêmes, rien perçu – tout le monde se dispute, s’insulte, s’invective, ne se salue plus, chacun à la recherche de sa pitance. Nos politiciens – pour ne pas dire nos politicards – pratiquent la politique du ventre, ne font de la politique que pour obtenir ou garder un poste juteux, et, pour cela, n’hésitent pas à embrigader les pauvres populations qu’ils oublient, une fois l’élection en poche. Ils ferment leurs belles maisons et s’en vont à la ville.Certains se constituent, même, comme une espèce de cour, avec troubadours et griots, pour meubler les maisons. Ils vantent les hauts des aïeuls qui, eux, ont rempli leur mission, ont mérité leur titre de noblesse. Des billets bleus y voltigent, tandis que certains voisins dorment, le ventre creux, parce que des animaux divagants ont ravagé leur champ, leur fils, diplômé, est au chômage.Alors que, dans ce «ventre du Fuuta», l’honneur, la dignité, l’hospitalité et la solidarité étaient des critères sur lesquels les hommes étaient jugés. Certains sont devenus tellement arrogants qu’ils maltraitent les personnes âgées. Un des hommes politiques du département de M’Bagne a poussé le bouchon jusqu’à traiter honteusement les vieux d’un village venu demander que leur avis soient pris en compte: «vous êtes comme des poulets, si on vous répand des graines, vous courez.» Les vieux se sont sentis, à juste titre, offensés, se sont levés, lentement, et sont sortis. Nos politicards, élus, maires, députés ou sénateurs, semblent, totalement, ignorer leur mission. C’est la raison pour laquelle les mairies rurales de la vallée baignent, hormis Boghé, dans une léthargie absolue. Peu ou pas d’initiatives, pas d’aménagements, pas d’infrastructures de base, aucune gestion participative. Ces mairies ne vivent que grâce aux subventions de l’Etat, ce fameux fond régional de développement que les maires partagent avec les hakems, les régisseurs municipaux, les commissaires de police et les chefs des brigades… Triste réalité.
Les officiers politicardsAujourd’hui, ce qui est plus grave, c’est que nos officiers supérieurs sont entrés dans la danse, surtout après le 6 août. Certains se sont reconstitués des liens de parenté, d’appartenance villageoise, pour se forger une base politique, sans virginité. Certains se rappellent, maintenant, qu’ils ont, quelque part, dans cette Mauritanie profonde, des parents, un village où sont nés papa ou maman. Triste réalité! Au cours de leur tournée dans leur village respectif, ils laissent entendre qu’ils sont jugés à l’aune de leur base politique locale et demandent, par conséquent, à être soutenus.
En échange de quoi? Contre, dans le meilleur des cas, de petits billets ou des dîners de macaroni. Pas de forage, pas d’électricité ni d’Activité Génératrice de Revenus (AGR). Qui peut admettre que M’Bagne, malgré son énorme potentiel de cadres; donc, de politiques; ne soit, toujours pas, électrifié? Que la ville reste isolée, pendant l’hivernage? Qu’il n’y ait aucun périmètre maraîcher? Ni aucun hôpital?Peut-on espérer un changement, dans la pratique de nos cadres politiques? Avec une petite dose d’optimisme, je dirais que oui, parce que la jeunesse et les femmes ont commencé à comprendre, à être, surtout, plus exigeant, à l’égard de nos «polotiques» qui descendront, bientôt, comme toujours, pour sauvegarder leurs «intérêts égoïstes». Que les riverains se le tiennent pour dit : plus jamais ça! Et le disent à ces messieurs. Alors, vous verrez, ça changera vite…
Dalay Lam
Source: Le calame
Cette capacité de mutation proviendrait-il des «gènes de nomadisme» que certains d’entre nous traînent et qu’ils ont fini par transmettre à tous les autres Mauritaniens? Nous ne nous hasarderons point à donner une réponse qui serait, elle aussi, trop «nomade», mais nous nous contenterons d’esquisser quelques faits qui permettent de juger de la manière dont les cadres de la Vallée font de la «politique», ainsi que l’on dit, par là-bas. A chacun ses réflexions nomades.Voilà deux ans que nous parlons politique, vivons de la politique, mais est-ce que nous, Mauritaniens, nous y comprenons grand-chose? En tout cas nos faits, gestes et autres comportements tendent à prouver le contraire. En effet, après plus de vingt ans de pensée unique, de dictature militaire, le sommet de la Baule nous a conduits à l’adoption et au greffage d’une démocratie, sur un continent meurtri par les plans d’ajustement structurels, une autre invention de l’Occident pour nous occuper, davantage, à tout, sauf à penser notre propre développement. Conférences nationales, par-ci, élections truquées par-là.
Voilà ce que nous avons hérité de la Baule. Opportunisme et clientélisme.En Mauritanie, Ould Taya refuse une conférence nationale, qui devait conduire à un véritable déballage, parce qu’elle intervenait au lendemain des événements tragiques de 89/91 et proposait des élections «pluralistes», qu’il a remportées, sans coup férir. Son régime connut alors sa première friction, parce qu’Ould Daddah, qui venait de débarquer d’une autre planète, a réussi à faire croire, aux Mauritaniens, qu’une autre voie était possible. Le pays entre, alors, dans la «polotique», avec la naissance du PRDR, une véritable machine d’embrigadement. Un cadre où sévit clientélisme et opportunisme.Ceux qui avaient réussi ou réussirent à s’introduire dans le système furent, alors, récompensés. Qui par des postes, qui par des licences de pêche, qui par des terrains, qui par des enveloppes mirobolantes, etc. Une véritable ruée vers le PRDS naissant. Les cadres de la vallée, restés dans l’opposition ou en marge de la politique, entamèrent leur traversée du désert, tandis que les populations du fleuve continuaient à souffrir des conséquences de 89, mais, aussi et surtout, du comportement d’une administration rompue à toutes les magouilles : expropriation des terres, arrestations, intimidations, humiliations, refus de livrer des papiers d’état-civil, rétention des projets de développement etc. Cela dura quelques années. Mais, vers la fin des années 90, certains cadres négro-mauritaniens commencent à s’impatienter, à se décourager, même, et, parce que, du côté de l’opposition au pouvoir, ils ne voient rien venir, ils décident de faire «basculer la vallée», dans l’escarcelle du PRDS. Promotions et promesses pleuvent, mais au profit, exclusif, de ce qu’on a appelé les «barons», les «zoulous» et les «venant de France-VF» du PRDS.Ces hommes et ces femmes, malgré leur position dans le système, étaient incapables de décrocher, pour un moindre applaudisseur, un poste de planton, une carte d’identité, une bourse à l’étranger, un forage ou une piste de désenclavement. Ne parlons pas de recrutement dans l’armée ou la police. Parfois, même, si vous leur exposiez certains problèmes, ils vous évitaient; plus grave, vous accusaient de les jalouser, de vouloir leur perte. Certains d’entre eux n’hésitèrent, même pas, à faire obstacle à la promotion de certains de leurs cousins. Les habitants de Bababé, de Wothie et de Boghé en savent quelque chose. Pourtant, ces hommes «polotiques», en sollicitant les voix des populations, lors des différents scrutins, arguaient que c’est en étant avec le parti au pouvoir qu’on peut «régler» les problèmes des populations. Personne, parmi ces barons négros-mauritaniens, ne peut se targuer d’avoir planché sur au moins un des problèmes que vit la population de la vallée, à travers une loi, une ordonnance. Certains poussent même leur incapacité jusqu’à faire intervenir tel petit cadre ou tel collègue élu pour «régler les détails». Un ministre négro-mauritanien, à qui l’on avait demandé de régler un problème relevant de ses compétences, laissa entendre, à l’intéressé, qu’il fallait, plutôt, contacter tel sénateur. Un autre, très ancien, celui-là, sollicité pour une action similaire, pria son visiteur de voir le cas avec un de ses chefs de service, parce que «ce petit maure, là, est plus efficace»…Pour assouvir leur ambition, nombre de nos cadres «poloticiens» – c’est comme ça, chez nous, tout cadre est, de facto, un politicien – ont entretenu, jusqu’ici, à travers leur(s) tendance(s) politique(s) – elles sont, hélas, parfois plurielles – des divisions et conflits, au sein des populations, jusque dans les familles. Tout celui qui ne pense pas, comme eux, n’entre pas dans leur cour; est contre eux. Et, comme ces populations n’ont rien compris à la politique – normal, me direz-vous, puisque leurs élites n’en ont, eux-mêmes, rien perçu – tout le monde se dispute, s’insulte, s’invective, ne se salue plus, chacun à la recherche de sa pitance. Nos politiciens – pour ne pas dire nos politicards – pratiquent la politique du ventre, ne font de la politique que pour obtenir ou garder un poste juteux, et, pour cela, n’hésitent pas à embrigader les pauvres populations qu’ils oublient, une fois l’élection en poche. Ils ferment leurs belles maisons et s’en vont à la ville.Certains se constituent, même, comme une espèce de cour, avec troubadours et griots, pour meubler les maisons. Ils vantent les hauts des aïeuls qui, eux, ont rempli leur mission, ont mérité leur titre de noblesse. Des billets bleus y voltigent, tandis que certains voisins dorment, le ventre creux, parce que des animaux divagants ont ravagé leur champ, leur fils, diplômé, est au chômage.Alors que, dans ce «ventre du Fuuta», l’honneur, la dignité, l’hospitalité et la solidarité étaient des critères sur lesquels les hommes étaient jugés. Certains sont devenus tellement arrogants qu’ils maltraitent les personnes âgées. Un des hommes politiques du département de M’Bagne a poussé le bouchon jusqu’à traiter honteusement les vieux d’un village venu demander que leur avis soient pris en compte: «vous êtes comme des poulets, si on vous répand des graines, vous courez.» Les vieux se sont sentis, à juste titre, offensés, se sont levés, lentement, et sont sortis. Nos politicards, élus, maires, députés ou sénateurs, semblent, totalement, ignorer leur mission. C’est la raison pour laquelle les mairies rurales de la vallée baignent, hormis Boghé, dans une léthargie absolue. Peu ou pas d’initiatives, pas d’aménagements, pas d’infrastructures de base, aucune gestion participative. Ces mairies ne vivent que grâce aux subventions de l’Etat, ce fameux fond régional de développement que les maires partagent avec les hakems, les régisseurs municipaux, les commissaires de police et les chefs des brigades… Triste réalité.
Les officiers politicardsAujourd’hui, ce qui est plus grave, c’est que nos officiers supérieurs sont entrés dans la danse, surtout après le 6 août. Certains se sont reconstitués des liens de parenté, d’appartenance villageoise, pour se forger une base politique, sans virginité. Certains se rappellent, maintenant, qu’ils ont, quelque part, dans cette Mauritanie profonde, des parents, un village où sont nés papa ou maman. Triste réalité! Au cours de leur tournée dans leur village respectif, ils laissent entendre qu’ils sont jugés à l’aune de leur base politique locale et demandent, par conséquent, à être soutenus.
En échange de quoi? Contre, dans le meilleur des cas, de petits billets ou des dîners de macaroni. Pas de forage, pas d’électricité ni d’Activité Génératrice de Revenus (AGR). Qui peut admettre que M’Bagne, malgré son énorme potentiel de cadres; donc, de politiques; ne soit, toujours pas, électrifié? Que la ville reste isolée, pendant l’hivernage? Qu’il n’y ait aucun périmètre maraîcher? Ni aucun hôpital?Peut-on espérer un changement, dans la pratique de nos cadres politiques? Avec une petite dose d’optimisme, je dirais que oui, parce que la jeunesse et les femmes ont commencé à comprendre, à être, surtout, plus exigeant, à l’égard de nos «polotiques» qui descendront, bientôt, comme toujours, pour sauvegarder leurs «intérêts égoïstes». Que les riverains se le tiennent pour dit : plus jamais ça! Et le disent à ces messieurs. Alors, vous verrez, ça changera vite…
Dalay Lam
Source: Le calame