Les problèmes d’argent – parce qu’ils sont avoués – sont un signe de maturité de la campagne électorale en cours. Il est vrai que tout désistement ou tout ralliement se paye, pas uniquement en argent. Il aurait en tout cas été équitable – ou il le sera – que l’Etat dédommage de leurs débours ceux qui ont déjà fait campagne pour le 6 Juin, même si ce n’était que complicité pour donner une apparence pluraliste au plébiscite alors projeté.
La vraie modernité – cependant – de cette élection présidentielle est ailleurs. A plusieurs points de vue. 1° La campagne, et surtout le choix libre des électeurs, portent sur le problème du moment, qui est le problème mauritanien depuis 1978. Le premier putsch a alors rompu toute l’évolution jusque-là consensuelle dont le père-fondateur – Moktar Ould Daddah – avait eu le génie, par son osmose personnelle avec plusieurs générations et plusieurs mentalités, avec aussi les contradictions culturelles, sociales et nationalistes de l’époque. Cette rupture aurait pu ne pas être durablement le fait des militaires. Ce sont ces deux éléments – ensemble – qui sont mis au débat et en jugement ces jours-ci.
Rupture avec la méthode consensuelle, soit par la dictature, soit par le postulat d’une alternance au pouvoir que favoriserait le parlementarisme. L’expérience de la dictature jusqu’en 2005, puis celle du parlementarisme en 2007-2008, ont montré que la Mauritanie n’a pas le choix pour son bien-être. Il faut revenir à la consensualité, pas seulement en dénouement de crise mais quotidiennement. L’opposition, par ses engagements de gouverner en coalition et de constituer une majorité parlementaire en coalition, est donc refondatrice. Car évidemment sans pluralisme avoué, cultivé, accepté, le consensus n’est qu’apparence et la démocratie que façade.
Et l’autre élément du débat est de trancher la prétention chronique d’une partie de la hiérarchie militaire à se poser en recours et en dépositaire de la légitimité et de la souveraineté nationales. Pour la première fois dans l’histoire mauritanienne, l’occasion est donnée d’un affrontement à armes et chances égales entre les deux thèses civile et militaire. Et le premier tour permet des variantes de chacune des deux thèses, puisque chacune a plusieurs expressions et plusieurs champions. L’élection est vraiment dans la nuance, et ces nuances, par le passé des principaux candidats, sont claires.
Le résultat sera net, même s’il est contesté par le perdant. Et surtout si cette contestation n’est finalement pas supportée par l’ensemble des forces armées. L’histoire enfin pourra être relue, dans son vrai sens.
2° Les assises politiques et sociologiques de l’électorat de chacun des candidats sont aussi mouvantes que déclarées. Les précédentes consultations n’avaient pas cette propriété, puisque la dernière a été contestée rétrospectivement – avec une constance qui s’est révélée maléfique – au prétexte que les soutiens de l’élu du 25 Mars 2007 étaient ceux-là mêmes qui le renverseraient le 6 Août 2008. Or, il est probable que les militaires en auraient fait autant si Ahmed Ould Daddah avait reçu le pouvoir au lieu que ce fut Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Les soutiens régionaux, tribaux, économiques n’étaient pas personnalisés comme en ce moment. Les principales fortunes mauritaniennes – à commencer par la plus en vue, qui a tant concouru aux entrées des putschistes à l’Elysée mais pas à Bruxelles ni à Addis-Abeba – se sont identifiées dans la campagne. Les ralliements sont publiés. Surtout, les jeux ne sont plus automatiques. Les cousins sont rivaux. Le sud-est se voit interpellé en tant que tel pour soutenir l’un des siens, seul candidat originaire de là, et cela ne détermine pas pour autant un vote.
Une des nouveautés apparentes de la campagne en cours est l’enregistrement de ces mouvements et de l’effet de ces soutiens ou ralliements, par des sondages – qui sont publiés. L’effet politique est certain puisque tel candidat qui jusque là anticipait sa victoire et son plébiscite, réfléchit aux voies et moyens d’en appeler à sa défaite. L’avantage vrai est autre. La position de favori, voire la possession d’état, varie désormais de jour en jour et permet, aussi bien aux candidats qu’à l’opinion publique, de mesurer la sincérité, la fidélité ou la précarité des alliances et des soutiens. Celui qu’on peut croire au pouvoir le 1er Août prochain, n’a plus le même nom d’un jour à l’autre.
3° En regard – comme dans les démocraties européennes, version actuelle – le discours des candidats, sauf celui de l’ex-favori par possession d’état, est lisse, parce que précisément l’électorat est à convaincre personne par personne, et non plus selon des blocs, des groupes, des alliances. Les promesses, la garantie d’ambiance non conflictuelle, la préoccupation du concret se ressemblent.
Sur les dossiers – jusque-là si difficiles et qu’avait ouverts, par son discours du 29 Juin 2007, le président de la République de l’époque – les engagements sont prudents. L’humanitaire et plus précisément les conséquences du drame d’Avril-Mai 1989, mais aussi le sang versé d’Octobre 1987 à Février 1991 pour de soi-disant complots à consonance ethnique. Or, ces sujets sont traités comme les «séquelles» (le mot est impropre, je le sais) d’événements très graves et incomplètement élucidés, sinon même jugés. C’est vrai. Mais ces événements et ces drames posent – et d’autres événements dans le passé ou à venir ont fait ou feront de même – deux problèmes dont le degré de connexité ou le lien de cause à effet peut être explosif, alors que chacun est déjà décisif en soi : le multi-ethnisme et les anciennes conditions serviles. Il y a beaucoup d’innommable et d’indicible dans ce qui, pour l’étranger, est de la sociologie ou bien – à très bon marché – du scandale, de la commisération et de la complicité. L’avenir du pays et son unité nationale, dans la liberté et le bien-être, dépendent d’une nouvelle et vraie considération de certains pour leurs compatriotes originaires de la vallée du Fleuve (on ne disait pas «négro-africains» dans la période fondatrice de la Mauritanie moderne) et pour les Haratines. L’identité culturelle mauritanienne, la cohésion sociale sont à trouver, les débats, les solutions ont été jusqu’à présent simplistes, soit parce que le pays se fondait, soit parce que son régime n’était qu’autoritaire, soit parce que le temps a manqué aux démocrates de 2007-2008.
Une fois réglé le dilemme historique de la légitimité ou pas des putschs militaires, il va falloir s’établir dans le vif de ce qu’est – en puissance et en réalité – la Mauritanie de toujours, mais qui n’est pas avoué. Le faire passer dans le droit, dans l’économie, dans les mœurs et enfin dans le regard mutuel de chacun sur autrui, est une tâche herculéenne de gouvernement. Culture, société, dignité, identité.
A cette condition forte et difficile, l’accord général – des candidats – sur un meilleur fonctionnement de l’Etat et sur une vraie solidarité financière des Mauritaniens, produira alors ces fruits. Tardivement se réalisera ce vœu de la précédente campagne présidentielle… Le 4 Juillet 2006, Sidi Ould Cheikh Abdallahi empruntait en effet au poète célèbre pour conclure sa déclaration de candidature présidentielle : «Je ne souhaite pas que tombe sur mon propre terroir une pluie dont les bienfaits ne s’étendraient pas à l’ensemble de mon pays».
Bertrand Fessard de Foucault
La vraie modernité – cependant – de cette élection présidentielle est ailleurs. A plusieurs points de vue. 1° La campagne, et surtout le choix libre des électeurs, portent sur le problème du moment, qui est le problème mauritanien depuis 1978. Le premier putsch a alors rompu toute l’évolution jusque-là consensuelle dont le père-fondateur – Moktar Ould Daddah – avait eu le génie, par son osmose personnelle avec plusieurs générations et plusieurs mentalités, avec aussi les contradictions culturelles, sociales et nationalistes de l’époque. Cette rupture aurait pu ne pas être durablement le fait des militaires. Ce sont ces deux éléments – ensemble – qui sont mis au débat et en jugement ces jours-ci.
Rupture avec la méthode consensuelle, soit par la dictature, soit par le postulat d’une alternance au pouvoir que favoriserait le parlementarisme. L’expérience de la dictature jusqu’en 2005, puis celle du parlementarisme en 2007-2008, ont montré que la Mauritanie n’a pas le choix pour son bien-être. Il faut revenir à la consensualité, pas seulement en dénouement de crise mais quotidiennement. L’opposition, par ses engagements de gouverner en coalition et de constituer une majorité parlementaire en coalition, est donc refondatrice. Car évidemment sans pluralisme avoué, cultivé, accepté, le consensus n’est qu’apparence et la démocratie que façade.
Et l’autre élément du débat est de trancher la prétention chronique d’une partie de la hiérarchie militaire à se poser en recours et en dépositaire de la légitimité et de la souveraineté nationales. Pour la première fois dans l’histoire mauritanienne, l’occasion est donnée d’un affrontement à armes et chances égales entre les deux thèses civile et militaire. Et le premier tour permet des variantes de chacune des deux thèses, puisque chacune a plusieurs expressions et plusieurs champions. L’élection est vraiment dans la nuance, et ces nuances, par le passé des principaux candidats, sont claires.
Le résultat sera net, même s’il est contesté par le perdant. Et surtout si cette contestation n’est finalement pas supportée par l’ensemble des forces armées. L’histoire enfin pourra être relue, dans son vrai sens.
2° Les assises politiques et sociologiques de l’électorat de chacun des candidats sont aussi mouvantes que déclarées. Les précédentes consultations n’avaient pas cette propriété, puisque la dernière a été contestée rétrospectivement – avec une constance qui s’est révélée maléfique – au prétexte que les soutiens de l’élu du 25 Mars 2007 étaient ceux-là mêmes qui le renverseraient le 6 Août 2008. Or, il est probable que les militaires en auraient fait autant si Ahmed Ould Daddah avait reçu le pouvoir au lieu que ce fut Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Les soutiens régionaux, tribaux, économiques n’étaient pas personnalisés comme en ce moment. Les principales fortunes mauritaniennes – à commencer par la plus en vue, qui a tant concouru aux entrées des putschistes à l’Elysée mais pas à Bruxelles ni à Addis-Abeba – se sont identifiées dans la campagne. Les ralliements sont publiés. Surtout, les jeux ne sont plus automatiques. Les cousins sont rivaux. Le sud-est se voit interpellé en tant que tel pour soutenir l’un des siens, seul candidat originaire de là, et cela ne détermine pas pour autant un vote.
Une des nouveautés apparentes de la campagne en cours est l’enregistrement de ces mouvements et de l’effet de ces soutiens ou ralliements, par des sondages – qui sont publiés. L’effet politique est certain puisque tel candidat qui jusque là anticipait sa victoire et son plébiscite, réfléchit aux voies et moyens d’en appeler à sa défaite. L’avantage vrai est autre. La position de favori, voire la possession d’état, varie désormais de jour en jour et permet, aussi bien aux candidats qu’à l’opinion publique, de mesurer la sincérité, la fidélité ou la précarité des alliances et des soutiens. Celui qu’on peut croire au pouvoir le 1er Août prochain, n’a plus le même nom d’un jour à l’autre.
3° En regard – comme dans les démocraties européennes, version actuelle – le discours des candidats, sauf celui de l’ex-favori par possession d’état, est lisse, parce que précisément l’électorat est à convaincre personne par personne, et non plus selon des blocs, des groupes, des alliances. Les promesses, la garantie d’ambiance non conflictuelle, la préoccupation du concret se ressemblent.
Sur les dossiers – jusque-là si difficiles et qu’avait ouverts, par son discours du 29 Juin 2007, le président de la République de l’époque – les engagements sont prudents. L’humanitaire et plus précisément les conséquences du drame d’Avril-Mai 1989, mais aussi le sang versé d’Octobre 1987 à Février 1991 pour de soi-disant complots à consonance ethnique. Or, ces sujets sont traités comme les «séquelles» (le mot est impropre, je le sais) d’événements très graves et incomplètement élucidés, sinon même jugés. C’est vrai. Mais ces événements et ces drames posent – et d’autres événements dans le passé ou à venir ont fait ou feront de même – deux problèmes dont le degré de connexité ou le lien de cause à effet peut être explosif, alors que chacun est déjà décisif en soi : le multi-ethnisme et les anciennes conditions serviles. Il y a beaucoup d’innommable et d’indicible dans ce qui, pour l’étranger, est de la sociologie ou bien – à très bon marché – du scandale, de la commisération et de la complicité. L’avenir du pays et son unité nationale, dans la liberté et le bien-être, dépendent d’une nouvelle et vraie considération de certains pour leurs compatriotes originaires de la vallée du Fleuve (on ne disait pas «négro-africains» dans la période fondatrice de la Mauritanie moderne) et pour les Haratines. L’identité culturelle mauritanienne, la cohésion sociale sont à trouver, les débats, les solutions ont été jusqu’à présent simplistes, soit parce que le pays se fondait, soit parce que son régime n’était qu’autoritaire, soit parce que le temps a manqué aux démocrates de 2007-2008.
Une fois réglé le dilemme historique de la légitimité ou pas des putschs militaires, il va falloir s’établir dans le vif de ce qu’est – en puissance et en réalité – la Mauritanie de toujours, mais qui n’est pas avoué. Le faire passer dans le droit, dans l’économie, dans les mœurs et enfin dans le regard mutuel de chacun sur autrui, est une tâche herculéenne de gouvernement. Culture, société, dignité, identité.
A cette condition forte et difficile, l’accord général – des candidats – sur un meilleur fonctionnement de l’Etat et sur une vraie solidarité financière des Mauritaniens, produira alors ces fruits. Tardivement se réalisera ce vœu de la précédente campagne présidentielle… Le 4 Juillet 2006, Sidi Ould Cheikh Abdallahi empruntait en effet au poète célèbre pour conclure sa déclaration de candidature présidentielle : «Je ne souhaite pas que tombe sur mon propre terroir une pluie dont les bienfaits ne s’étendraient pas à l’ensemble de mon pays».
Bertrand Fessard de Foucault