Faculté motrice des activités individuelles et collectives, le langage est un des déterminants décisifs des ressorts psychologiques, sociologiques et politiques des différentes catégories et couches sociales. Il est, au travers de ses manifestations particulières que sont les divers idiomes et les différents niveaux de langue, consubstantiel de la formation des strates sociales comme des groupes et des nations. Un des piliers fondamentaux de tout projet de développement politique, social ou économique, l’outil linguistique est aussi et à ce même titre au cœur des dispositifs dont se dotent d’ordinaire toutes les politiques de domination, d’exclusion et de mainmise monopolistique. On comprend alors que cette ambivalence est source de grande sensibilité de la part de tous à l’endroit de la question linguistique et on comprend concomitamment que sans que cette question soit convenablement et sérieusement prise en compte par les pouvoirs publics elle continuera de faire le bonheur de surenchères irresponsables et de visions partiales.
Quatre éléments saillants font ou refont surface dans le débat actuel sur la question linguistique en Mauritanie .
1°/ Le premier est celui du statut de la langue arabe par rapport aux autres langues nationales. Les locuteurs maternels de l’arabe, en l’occurrence de l’arabe ḥassânîde (en tant qu’il s’agit d’une des différentes variantes vernaculaires dont dispose la langue arabe normative), bénéficient à ce titre d’une langue si profusément étudiée et analysée depuis des siècles et qui de surcroit est une langue internationale dont l’assise géostratégique immédiate comprend plus de 20 Etats. Ainsi les locuteurs maternels des autres langues nationales se sentent-ils désavantagés dans la mesure où celles-ci n’ont pas encore suffisamment bénéficié d’un développement comparable à l’échelle globale. Cet état de fait est en conséquence à l’origine d’un sentiment d’inéquité et d’un malaise chronique qui ne pourront être dissipés sans que des garanties convaincantes ne soient fournies. Ceci est d’autant plus le cas que ces langues sont, il va sans dire, dépositaires du patrimoine culturel et de l’apport créatif de leurs locuteurs et qu’elles leur assurent concurremment une continuité historique et géographique essentielle. Que les langues n’aient pas la même histoire ne peut servir de prétexte pour ne pas traiter les citoyens sur un pied d’égalité.
2°/ Le second aspect est que la langue arabe est la langue officielle de l’Etat. Elle est donc censée être l’outil de toute communication officielle. Elle tient en effet une place prépondérante dans les institutions éducatives et celles des média. Néanmoins le français demeure de fait la langue administrative et plus particulièrement celles des secteurs économiques et financiers. Ainsi, quoi que langue étrangère pour tous les Mauritaniens, le français reste-t-il la langue de travail et conserve le statut dit de « prestige language ». Celui qui ne peut faire valoir une certaine maîtrise du français ne parviendra que difficilement à des postes de premier plan au sein de l’Etat. Il ne pourra même que fort difficilement obtenir un travail subalterne.
3°/ Le souci principal des parents d’élèves lorsqu’ils sont confrontés à la question du choix de la langue éducative n’est pas seulement celui des considérations liées à leurs langues maternelles. Leur choix est en grande partie dicté par la volonté d’assurer à leurs enfants des métiers de premier plan dans les deux secteurs public et privé. Or, pour le moment, la langue française prédomine dans ces deux secteurs aussi bien en Afrique du Nord qu’en Afrique de l’Ouest.
4°/ Dans la plupart des cas, les faits avérés montrent que, compte tenu notamment des éléments précédents (3°), les hauts-cadres de l’Etat tiennent à ce que leurs enfants reçoivent leur éducation dans des écoles françaises ou francophones. L’attitude des arabophones natifs et des non-arabophones parmi les « élites » de l’Etat s’avère en général identique à cet égard. La différence entre les uns et les autres se situe ailleurs. Les premiers, étant donné que l’arabe est leur langue maternelle, ne peuvent assumer à visage découvert des positions opposées à cette langue par crainte des réactions de leurs propres milieux sociaux. Aussi préfèrent-ils d’ordinaire ne pas prendre parti dans le débat public sur la question linguistique. Ce n’est en général pas le cas de leurs confrères dont l’arabe n’est pas la langue maternelle. N’étant pas confrontés aux mêmes contraintes sociales, ces derniers parviennent sans détour à assumer leur position : A leurs yeux, la langue arabe ne permet pas d’assurer à leurs enfants l’avenir socioprofessionnel escompté. Celle-ci n’étant pas leur langue maternelle, qui plus est délaissée par les élites dont elle est la langue maternelle, ils se sentent délivrés de tout sentiment de culpabilité à son égard. Ce n’est pas pour autant qu’ils ne la revendiquent pas sur d’autres plans (en tant que leur langue liturgique, la langue savante de tant d’érudits de leur communauté d’origine – ceux-ci n’ont eu en effet de cesse de l’apprendre et de l’enseigner, comme ils l’ont propagé et continuent de le faire, etc.).
C’est dans les éléments que nous venons d’énumérer brièvement que se déclinent, nous semble-il, les principaux termes de la problématique sous-tendant le débat fracassant ayant secoué la Mauritanie ces derniers temps. Il s’agit du débat que l’on avait appelé dans les décennies précédentes « la question de la langue arabe ». Qu’il ait été par la suite inscrit dans la Constitution que l’arabe est la langue officielle de l’Etat cela n’a constitué pour l’instant qu’une solution juridique abstraite. La question linguistique reste entièrement posée sur le plan des faits concrets. Néanmoins, à l’instar d’autres dossiers d’importance, elle a été plus ou moins escamotée par la crise politico-sociale de ces dernières vingt années. Maintenant que cette crise commence à baisser d’ampleur, la problématique linguistique refait surface notamment en raison des perspectives de l’organisation des journées de concertation nationales ayant pour objet l’élaboration d’une nouvelle politique de l’éducation dans le pays.
Dans ce qui suit, nous posons la question de la langue arabe de la façon qui nous semble la plus impartiale possible. Nous laissons au lecteur averti le soin de rechercher des solutions. Certes, nous proposerons quelques pistes de solution (dans le texte comme dans les notes de bas de page) mais nous admettons de facto que la question est complexe et qu’il n’y pas de solutions toutes prêtes. S’opposer à la langue arabe ou à d’autres langues nationales, au-delà de l’inanité qu’il comporte, relève d’une attitude déloyale et antinationale. S’opposer aux langues étrangères, et particulièrement au français (dont le rôle est encore important en Mauritanie) est une erreur et un suicide sociopolitique. Œuvrer pour qu’une langue étrangère soit substituée à une langue nationale est un acte peu courageux dont le seul aboutissement est celui de dilapider les énergies de la société et de les détourner de leur tâche essentielle : le développement humain.
Par : Mohamed Ould Abdalhaye
Source: chitari24
Quatre éléments saillants font ou refont surface dans le débat actuel sur la question linguistique en Mauritanie .
1°/ Le premier est celui du statut de la langue arabe par rapport aux autres langues nationales. Les locuteurs maternels de l’arabe, en l’occurrence de l’arabe ḥassânîde (en tant qu’il s’agit d’une des différentes variantes vernaculaires dont dispose la langue arabe normative), bénéficient à ce titre d’une langue si profusément étudiée et analysée depuis des siècles et qui de surcroit est une langue internationale dont l’assise géostratégique immédiate comprend plus de 20 Etats. Ainsi les locuteurs maternels des autres langues nationales se sentent-ils désavantagés dans la mesure où celles-ci n’ont pas encore suffisamment bénéficié d’un développement comparable à l’échelle globale. Cet état de fait est en conséquence à l’origine d’un sentiment d’inéquité et d’un malaise chronique qui ne pourront être dissipés sans que des garanties convaincantes ne soient fournies. Ceci est d’autant plus le cas que ces langues sont, il va sans dire, dépositaires du patrimoine culturel et de l’apport créatif de leurs locuteurs et qu’elles leur assurent concurremment une continuité historique et géographique essentielle. Que les langues n’aient pas la même histoire ne peut servir de prétexte pour ne pas traiter les citoyens sur un pied d’égalité.
2°/ Le second aspect est que la langue arabe est la langue officielle de l’Etat. Elle est donc censée être l’outil de toute communication officielle. Elle tient en effet une place prépondérante dans les institutions éducatives et celles des média. Néanmoins le français demeure de fait la langue administrative et plus particulièrement celles des secteurs économiques et financiers. Ainsi, quoi que langue étrangère pour tous les Mauritaniens, le français reste-t-il la langue de travail et conserve le statut dit de « prestige language ». Celui qui ne peut faire valoir une certaine maîtrise du français ne parviendra que difficilement à des postes de premier plan au sein de l’Etat. Il ne pourra même que fort difficilement obtenir un travail subalterne.
3°/ Le souci principal des parents d’élèves lorsqu’ils sont confrontés à la question du choix de la langue éducative n’est pas seulement celui des considérations liées à leurs langues maternelles. Leur choix est en grande partie dicté par la volonté d’assurer à leurs enfants des métiers de premier plan dans les deux secteurs public et privé. Or, pour le moment, la langue française prédomine dans ces deux secteurs aussi bien en Afrique du Nord qu’en Afrique de l’Ouest.
4°/ Dans la plupart des cas, les faits avérés montrent que, compte tenu notamment des éléments précédents (3°), les hauts-cadres de l’Etat tiennent à ce que leurs enfants reçoivent leur éducation dans des écoles françaises ou francophones. L’attitude des arabophones natifs et des non-arabophones parmi les « élites » de l’Etat s’avère en général identique à cet égard. La différence entre les uns et les autres se situe ailleurs. Les premiers, étant donné que l’arabe est leur langue maternelle, ne peuvent assumer à visage découvert des positions opposées à cette langue par crainte des réactions de leurs propres milieux sociaux. Aussi préfèrent-ils d’ordinaire ne pas prendre parti dans le débat public sur la question linguistique. Ce n’est en général pas le cas de leurs confrères dont l’arabe n’est pas la langue maternelle. N’étant pas confrontés aux mêmes contraintes sociales, ces derniers parviennent sans détour à assumer leur position : A leurs yeux, la langue arabe ne permet pas d’assurer à leurs enfants l’avenir socioprofessionnel escompté. Celle-ci n’étant pas leur langue maternelle, qui plus est délaissée par les élites dont elle est la langue maternelle, ils se sentent délivrés de tout sentiment de culpabilité à son égard. Ce n’est pas pour autant qu’ils ne la revendiquent pas sur d’autres plans (en tant que leur langue liturgique, la langue savante de tant d’érudits de leur communauté d’origine – ceux-ci n’ont eu en effet de cesse de l’apprendre et de l’enseigner, comme ils l’ont propagé et continuent de le faire, etc.).
C’est dans les éléments que nous venons d’énumérer brièvement que se déclinent, nous semble-il, les principaux termes de la problématique sous-tendant le débat fracassant ayant secoué la Mauritanie ces derniers temps. Il s’agit du débat que l’on avait appelé dans les décennies précédentes « la question de la langue arabe ». Qu’il ait été par la suite inscrit dans la Constitution que l’arabe est la langue officielle de l’Etat cela n’a constitué pour l’instant qu’une solution juridique abstraite. La question linguistique reste entièrement posée sur le plan des faits concrets. Néanmoins, à l’instar d’autres dossiers d’importance, elle a été plus ou moins escamotée par la crise politico-sociale de ces dernières vingt années. Maintenant que cette crise commence à baisser d’ampleur, la problématique linguistique refait surface notamment en raison des perspectives de l’organisation des journées de concertation nationales ayant pour objet l’élaboration d’une nouvelle politique de l’éducation dans le pays.
Dans ce qui suit, nous posons la question de la langue arabe de la façon qui nous semble la plus impartiale possible. Nous laissons au lecteur averti le soin de rechercher des solutions. Certes, nous proposerons quelques pistes de solution (dans le texte comme dans les notes de bas de page) mais nous admettons de facto que la question est complexe et qu’il n’y pas de solutions toutes prêtes. S’opposer à la langue arabe ou à d’autres langues nationales, au-delà de l’inanité qu’il comporte, relève d’une attitude déloyale et antinationale. S’opposer aux langues étrangères, et particulièrement au français (dont le rôle est encore important en Mauritanie) est une erreur et un suicide sociopolitique. Œuvrer pour qu’une langue étrangère soit substituée à une langue nationale est un acte peu courageux dont le seul aboutissement est celui de dilapider les énergies de la société et de les détourner de leur tâche essentielle : le développement humain.
Par : Mohamed Ould Abdalhaye
Source: chitari24