Mamadou Samba Diop Murtuɗo:« La Voix des sans-voix…»



Véritable incarnation de la capacité mobilisatrice du Verbe, Mammadu Sammba Joop (1942-2009) (surnommé Murtuɗo « Le Révolté ») est un poète révolutionnaire. On ne peut évoquer la poésie pulaar contemporaine sans mentionner sans nom. Cet homme engagé pour les droits des minorités a laissé derrière lui un héritage considérable auprès de la jeunesse…
Fils d’un chef de village qui travaillait comme intermédiaire entre les colons et la population, il entre à l’école française dès 1949 dans son village natal (Mbagne) puis à Bogué avant de poursuivre ses études secondaires à Saint-Louis, qui est alors capitale de l’A.O.F. Jeune lycéen, à 16 ans, il intègre le P.A.I (Parti Africain pour l’Indépendance), un parti d’obédience marxiste-léniniste fondé par le Sénégalais Majmouth Diop. De retour en Mauritanie, il souhaite devenir infirmier. Il sera finalement sous-brigadier des douanes à Nouadhibou dès 1961 et parallèlement secrétaire général du syndicat de l’Union des Travailleurs de Mauritanie. De 1966 à 1968, son activité de syndicaliste le conduit à Moscou en Russie afin de suivre une formation à l’Ecole Internationale des Militants d’Afrique et d’Amérique latine. Revenu en Mauritanie, son métier de fonctionnaire des douanes le conduit à parcourir plusieurs grandes villes du pays. En 1968, il passe le baccalauréat en tant que candidat libre, puis se rend à Kiev, de 1972 à 1973, où il étudie le droit international à l’université Taras Grégorovitch Shevchenko. En France, où il poursuit sa vie estudiantine, il suit les cours de l’Ecole du Louvre et du Collège de France et sera diplômé de Paris 4 et de Paris 8 en histoire et en sociologie. Il obtient un Doctorat en Sciences Politiques consacré à la question des minorités nationales.
Tout le long de son séjour en France, Murtuɗo va grandement contribuer au développement des associations pulaar avec d’autres étudiants africains et poulophones, notamment Binndi e jannde [Ecrits et Etudes], Binndi pulaar [Ecrits pulaar] mais surtout Kawtal Janngooɓe Pulaar/Fulfulde e Winndere hee [Association Internationale pour l’Etude du Pulaar/Fulfulde] dont il est un membre fondateur.
Orateur hors du commun et pédagogue fort doué attentif à la jeunesse qui l’aimait particulièrement, Murtuɗo Joob était infatigable. Avec d’autres personnalités (tels qu’Abuubakri Dem ou Yaya Dia par exemple), il aura sans conteste permis et accéléré la mise en place d’un réseau associatif pulaar en France. Ce sont ses élèves et disciples qui sont à la tête d’une association pulaar très dynamique en France, le K.J.P.F. En 1981, il participe à la réunion de Bordeaux où le monde peul se réunit sous l’égide de personnalités tels qu’Oumar Ba ou A.H.Bâ, pour décider d’une harmonisation de l’écriture du peul avec l’alphabet latin. De la même manière, lorsqu’il rentre en Mauritanie, il s’investit dans l’association Fedde Ɓamtaare Pulaar ; et parcourt inlassablement le Fouta Tôro pour donner ses conférences. Il effectue de nombreux allers-retours entre la France, les Etats-Unis, le Sénégal et la Mauritanie. Partout où il passe, Murtuɗo Joob fait des émules. A partir de 2001, il s’investit davantage dans la vie politique mauritanienne, créant son propre parti politique, convaincu que le droit de ce qu’il appelait les minorités nationales ne sera reconnu que par la voix des urnes.
Murtuɗo Joob de son vivant aimait à dire qu’il avait écrit en pulaar des dizaines d’ouvrages dont une traduction du Coran, de Nations Nègres et Culture de Cheikh Anta Diop qu’il admirait particulièrement, des textes scientifiques et didactiques sur la formation de l’univers ou un manuel de chimie pour les classes de Terminale par exemple, deux essais politiques et historiques sur la condition et l’histoire des Haalpulaar’en en Mauritanie, un texte sur la condition de la femme et un essai sur la relation entre la science et la connaissance de Dieu, Murtuɗo ayant été particulièrement attentif aux questions religieuses à la fin de sa vie. Cependant ces textes n’ont pas encore été publiés. Mammadu Sammba Joob était surtout un très grand orateur, animé par ses convictions profondes, et ses positions sans concession. Il manipulait la langue pulaar avec virtuosité et cet amour des mots et de sa langue l’amena à composer tout le long de sa vie de nombreux poèmes dont les plus connus concernent les dramatiques évènements mauritaniens de 1986 à 1989. M.S. Joob fut l’un des rares poètes et écrivains pulaar dont la notoriété a traversé les frontières intérieures du monde peul, connu aussi bien des Sénégalais et des Mauritaniens que des Maliens ou des Guinéens par exemple. Les publications disponibles sont loin de rendre compte de l’étendue de la production littéraire de cet homme dont la vie entière fut consacrée au pulaar, auteur de centaines de poèmes non publiés à ce jour mais pour une bonne part, disponibles sur cassettes. Sa brusque disparition en juin 2009 fut vécue comme une très grande perte dans la communauté peule.
Mammadu Sammba Joob, le « griot des pauvres » (Gawlo miskineeɓe) comme on l’appelait également (Titre de l’un de ses poèmes) est devenu un symbole de résistance à l’oppression politique pour la communauté peule.

P.S: Ces données bibliographiques (extraites de ma thèse de doctorat, 2009) ont été rassemblées à l’occasion d’entretiens réalisés en août 1998 à Anyam Thiodaye (Sénégal) et le 10 mai 2006, à Mantes-la-Jolie (France) à l’occasion d’une interview réalisée avec Ibrahima Dia et filmée par Dieynaba Sy, ainsi qu’avec des articles publiés dans le journal Lasli et le site pulaagu.com, notamment un article de Hammee Aamadu Lih, » Hol gonnooɗo oo gorko jammbaaro » ?

Sur internet et youtube en particulier, il est possible de trouver des vidéos de ces discours, d’une partie de sa poésie, et des nombreux hommages qui lui ont été rendus de part le monde, par les chanteurs, la jeunesse, les militants associatifs.

Cette photographie inédite fut prise en 1998 à l’occasion des journées culturelles d’Agnam Thiodaye (mon petit cadeau à tous ses amis et « héritiers » spirituels…)

Mélanie Bourlet


Source: http://www.dakarexpress.net

Lundi 21 Novembre 2016
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